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vécu au milieu des institutions et des sociétés qui les entourent, ce qui les a fait croire comme ils croient et non pas fort différemment. Leur bonne foi ne peut échapper à cette réflexion qu’il n’y a pas de raison pour estimer leur manière de voir à plus haut prix que celle d’autres nations et d’autres siècles ; et ceci fait naître des doutes dans leur esprit.

Ils apercevront ensuite qu’ils doivent nourrir des doutes semblables sur toute croyance qui semble déterminée soit par leur fantaisie propre, soit par la fantaisie de ceux qui furent les créatures des opinions populaires. Adhérer obstinément à une croyance et l’imposer arbitrairement aux autres sont donc deux procédés qu’il faut abandonner, et pour fixer les croyances on doit adopter une nouvelle méthode qui non-seulement fasse naître une tendance à croire, mais qui détermine aussi quelles propositions il faut croire. Qu’on laisse agir sans obstacle les préférences naturelles ; sous leur influence, les hommes, échangeant leurs pensées et considérant les choses de points de vue divers, développeront graduellement des croyances en harmonie avec les choses naturelles. Cette méthode ressemble à celle qui a conduit à maturité les conceptions du domaine de l’art.

L’histoire de la philosophie métaphysique en offre un exemple parfait. Les systèmes de cet ordre ne se sont pas d’ordinaire appuyés sur des faits observés, ou du moins ne l’ont fait qu’à un assez faible degré. On les a adoptés surtout parce que les propositions fondamentales en paraissaient agréables à la raison. Cette expression est fort juste, elle désigne non pas les théories qui s’accordent avec l’expérience, mais celles que de nous-mêmes nous inclinons à croire. Platon, par exemple, trouve agréable à la raison que les distances des sphères célestes entre elles soient proportionnelles aux longueurs des cordes qui produisent les harmonies musicales. Ce sont des considérations de ce genre qui ont conduit bien des philosophes à leurs conclusions les plus importantes. Mais c’est là la forme la plus intérieure et la plus rudimentaire de la méthode, car il est évident qu’un autre homme peut trouver plus agréable à sa raison à lui la théorie de Kepler, que les sphères célestes sont proportionnelles aux sphères inscrites et circonscrites aux différents solides réguliers. Le choc des opinions conduira bientôt à s’appuyer sur des préférences d’un caractère plus universel. Soit par exemple la doctrine que l’homme seul agit par égoïsme, c’est-à-dire par la considération que telle façon d’agir lui procurera plus de plaisir que telle autre. Cette idée ne repose absolument sur aucun fait, mais elle a été fort généralement acceptée, comme étant la seule théorie raisonnable.

Cette méthode est bien plus intelligente et bien plus respectable