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ses contemporains entreprirent l’étude de la chimie. La vieille maxime des chimistes avait été : « Lege, lege, lege, labora, ora, et relege. » La méthode de Lavoisier ne fut pas de lire et de prier, ni de rêver que quelque opération chimique longue et compliquée aurait un certain effet ; de l’exécuter avec une patience désespérante ; puis, après un insuccès inévitable, de rêver qu’avec quelque modification on obtiendrait un autre résultat ; puis de publier le dernier rêve comme réalité. Sa méthode était de transporter son esprit dans son laboratoire et de faire de ses alambics et de ses cornues des instruments de travail intellectuel. Il faisait concevoir d’une façon nouvelle le raisonnement comme une opération qui devait se faire les yeux ouverts, en maniant des objets réels au lieu de mots et de chimères.

La controverse sur le darwinisme est de même en grande partie une question de logique. Darwin a proposé d’appliquer la méthode statistique à la biologie. C’est ce qu’on a fait dans une science fort différente pour la théorie des gaz. Sans pouvoir dire ce que serait le mouvement de telle molécule particulière d’un gaz, dans une certaine hypothèse sur la constitution de cette classe de corps, Clausius et Maxwell ont cependant pu, par l’application de la théorie des probabilités, prédire qu’en moyenne telle ou telle proportion de molécules acquerrait dans des circonstances données telles ou telles vitesses, que dans chaque seconde se produirait tel et tel nombre de collisions, etc. De ces données, ils ont pu déduire certaines propriétés des gaz, spécialement en ce qui touche à leurs relations caloriques. C’est ainsi que Darwin, sans pouvoir dire quels seraient sur un individu quelconque les effets de la variation et de la sélection naturelle, démontre qu’à la longue ces lois adapteront les animaux à leur milieu. Les formes animales existantes sont-elles ou non dues à l’action de ces lois ? quelle place doit-on donner à cette théorie ? Tout cela forme le sujet d’une controverse dans laquelle les questions de fait et les questions de logique s’entremêlent d’une singulière façon.

II

Le but du raisonnement est de découvrir par l’examen de ce qu’on sait déjà quelque autre chose qu’on ne sait pas encore. Par conséquent, le raisonnement est bon s’il est tel qu’il puisse donner une conclusion vraie tirée de prémisses vraies ; autrement, il ne vaut rien. Sa validité est donc ainsi purement une question de fait et non