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A. Gugnin. Essai de psychologie appliquée aux sciences mathématiques. — Mémoire in-8o de 83 p. — Nice, Malvano-Mignon, 1878.

Voici un petit ouvrage très-court, très-discret, très-modeste mais plein de vues fines, d’aperçus ingénieux, de pensées profondes. L’auteur est un mathématicien qui, voulant voir clair dans ses idées, a passé de longues années à faire l’analyse minutieuse des principes de la science, si bien que, désirant un jour présenter un mémoire à la Société des lettres, sciences et arts des Alpes-Maritimes, il a écrit de main de maître un mémoire très-original sur ce sujet : Recherche du mode d’acquisition de nos connaissances scientifiques. C’est de ce mémoire qu’il est ici question.

Quand M. Gugnin parle de métaphysique, il se montre d’une extrême circonspection, mais il est rare qu’il touche un sujet sans y laisser son empreinte. Dire que toutes nos connaissances ont pour origine l’expérience, c’est énoncer une vérité peut-être assez banale ; ajouter qu’il faut entendre par expérience non l’expérience actuelle, mais une expérience accumulée depuis les premières perceptions de notre première enfance, c’est reprendre la pensée qui a donné naissance au premier mémoire de Maine de Biran[1] Dire qu’on est spiritualiste, c’est sans doute chose assez facile ; ajouter que pour le matérialisme la difficulté est de concevoir comment un mouvement peut prendre conscience de lui-même, c’est prouver qu’on aperçoit le nœud de la question, comme M. Tyndall et comme M. Taine[2]. M. Gugnin cite Tyndall et ne cite pas M. Taine. Peut-être ne l’a-t-il pas lu. Pour moi, je n’en serais pas surpris, car M. Gugnin est officier du génie, et le livre de {{|M.|Taine}} a eu la mauvaise chance de paraître en 1870. Mais j’ai hâte d’arriver à la partie la plus forte du travail que j’examine.

Je rencontre d’abord (p. 33) très-nettement marquée la distinction du point de vue mathématique et du point de vue métaphysique dans l’étude critique des notions premières de la raison ; je trouve ensuite appuyée sur des raisons fortes et nouvelles l’opinion déjà soutenue par M. Hoüel[3] et par bien d’autres qu’il faut faire dans la méthode mathématique une part à l’expérience. Mais ces questions sont encore un peu générales. Il faut venir au détail. Rien n’est plus ingénieux que la discussion instituée par M. Gugnin sur les notions d’espace et de temps. Comme Stuart Mill, M. Gugnin tend à ramener la notion d’espace à la notion de temps (p. 45). Il confirme ainsi les résultats de la célèbre observation de Platner, que l’on trouve exposée dans l’Examen de la Philosophie de Hamilton, ch. XIII. Mais tout cela n’approche point encore pour la netteté des analyses du chapitre consacré par M. Gugnin à l’idée de rapport. Il est vrai que sur ce sujet notre auteur avait été

  1. Influence de l’habitude sur la faculté de penser, 1802.
  2. De l’Intelligence, t. I, p. 354.
  3. Essai critique sur les principes fondamentaux de la géométrie élémentaire. — Paris, 1867.