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analyses. — bougot. Essai sur la Critique d’art.

de revêtir cet idéal de l’enveloppe extérieure la plus rudimentaire.

Cette circonspection que, plus expressément que M. Bougot, nous exigeons de la critique d’art, bien loin de la diminuer, lui donne plus de largeur de vue, en la transportant à l’écart et à l’abri des querelles systématiques sur les principes, dont l’art bénéficie moins encore que la philosophie. C’est à cette condition qu’elle se fera universellement reconnaître comme utile et légitime, qu’elle s’imposera aux artistes de tous les genres et de toutes les écoles, dont l’extrême sensibilité irrite si promptement les moindres débats sur les doctrines de l’art. Du reste, la conception idéale du beau, que le goût suffit à produire, échappe à la critique au même titre que la vérité pure de la science, que l’expérience suffit à constater. De même que la critique historique porte moins sur les faits et les événements que sur les documents qui nous les transmettent, et dont il s’agit de vérifier l’authenticité et la véracité, de même la critique d’art a moins pour mission de se prononcer sur les idées et les conceptions elles-mêmes, que d’interpréter les signes de ces idées et les langages de ces conceptions. Et même dans ce domaine prudemment réduit, il ne sera pas toujours aisé au sens critique de s’orienter avec sang-froid, loin des réalités toutes faites, à travers les produits parfois capricieux de l’imagination, et il ne lui restera que trop d’occasions de se laisser dérouter par les émotions du goût et les fantaisies de l’invention.

Mais il est toujours facile de critiquer un livre en partant de données aussi générales. Quels que soient les principes de M. Bougot en esthétique pure, le mérite principal de son essai n’est pas dans l’esquisse qu’il nous en laisse entrevoir accidentellement, à diverses reprises, sans les rassembler dans un tableau d’ensemble. Ce qui caractérise surtout son livre, ce qui le distingue, c’est un effort perpétuel d’analyse consciencieuse, qui décompose, avec une netteté parfaite, tous les éléments dont la connaissance intéresse le critique d’art, tant pour étudier les œuvres soumises à son examen, que pour acquérir les qualités propres à faire de lui un juge impartial et compétent.

Ainsi, le premier soin du critique sera de chercher à comprendre l’artiste, de dégager du signe la chose signifiée, de l’œuvre la pensée qu’elle traduit. Quant à se demander si cette pensée est de celles que l’art, auquel appartient l’œuvre, est apte à exprimer sans sortir de ses limites, nous croyons, contrairement à M. Bougot, que c’est là une question à laquelle il faut se garder souvent de faire une réponse trop absolue, car il peut dépendre d’un génie original de déplacer les limites jusque-là assignées à son art, et le succès de sa tentative en prouvera la légitimité. — Vient ensuite, pour le critique, l’étude complexe de la forme, au triple point de vue de la correction, de l’histoire, de l’esthétique ; puis le rapprochement de la forme et de l’idée, avec les comparaisons qui en découlent ; enfin le jugement d’ensemble à porter sur l’œuvre, en nous aidant des verdicts prononcés déjà par des juges autorisés, qui peut-être ont découvert un point de vue qui nous avait échappé.