Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
43
nolen. — les nouvelles philosophies en allemagne.

mes pures de la pensée sur l’activité spontanée et à priori du moi, Lange prétend la fonder exclusivement sur les données de l’expérience[1]. Aussi ne réclame-t-il, pour les catégories comme pour la connaissance humaine tout entière, qu’une valeur relative, qu’une vraisemblance plus ou moins grande. Ni le nombre de ces formes ne lui paraît, comme à Kant, pouvoir être fixé d’une manière définitive et irréductible ; ni leur démonstration ne revêt chez lui, comme chez son maître, le caractère d’une certitude apodictique. Reconnaissons cependant que les conclusions sceptiques, auxquelles l’entraîne inévitablement ce relativisme de la connaissance, cèdent chez Lange, comme chez Kant, aux besoins impérieux du dogmatisme moral ; et que les inflexibles exigences de la raison pratique corrigent à chaque instant, non sans doute sans de flagrantes contradictions, les fâcheuses conséquences de la théorie de la connaissance.

De ces premières différences en découlent nécessairement beaucoup d’autres. Comparons successivement les théories de nos trois auteurs sur la connaissance mathématique, la connaissance expérimentale et la connaissance philosophique.

Le temps et l’espace sont pour Lange, comme pour Kant, des formes subjectives de la pensée. Hartmann et Dühring en font les formes des choses en soi, comme de l’entendement ; mais les choses en soi n’étant pour Hartmann, comme l’Un tout leur principe, que des réalités spirituelles, que des essences constituées exclusivement par la volonté et l’idée, le temps et l’espace n’ont qu’une signification à vrai dire idéale, et ne diffèrent dans la chose en soi et dans notre esprit que comme l’idéalité inconsciente diffère de l’idéalité consciente. On ne saurait donc confondre le réalisme transcendantal de Hartmann, si voisin par tant de côtés de l’idéalisme des philosophes de l’identité, avec le réalisme pur et simple de Dühring. Quoi qu’il en soit, Hartmann et Dühring sont également hostiles aux tentatives récentes de la métagéométrie, et ne voient que de stériles fantaisies dans les hypothèses de Gauss, de Riemann et d’Helmholtz. Lange, au contraire, y trouve la confirmation de son relativisme, qui ne reconnaît au temps, à l’espace et aux concepts mathématiques qu’une valeur purement subjective.

La connaissance empirique n’est pas plus chez Hartmann et Dühring que chez Kant l’œuvre exclusive de l’entendement, coordonnant les données des sens d’après les règles inflexibles des catégories. L’imagination a son rôle dans la science comme dans la nature ; et les hypothèses qui satisfont le mieux les besoins architectoniques de

  1. Vaihinger, p. 59 de l’ouvrage cité.