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romanes. — l’intelligence animale

pommes était versé, le chien frémissait de terreur comme à un tonnerre lointain. Je le menai au fruitier, je lui montrai la vraie' cause du bruit : aussitôt, il devint calme et joyeux. — Un chien qui voit s’évanouir brusquement des bulles de savon reste terrifié par cette mystérieuse disparition. — L’auteur cite d’autres faits de la même nature à l’appui de sa thèse.

L’animal possède aussi la faculté de juger et de raisonner. Un naturaliste bien connu, le Dr Rae, connaissait un chien des Orcades qui accompagnait son maître à l’église tous les dimanches quinze jours. Pour cela, il lui fallait traverser à la nage un canal large d’un mille. Avant de prendre l’eau, il courait à un mille au nord, quand la marée montait, à un mille au sud quand elle descendait, calculant sa distance de manière à aborder au point le plus proche de l’église. — M. Romanes cite, sur la même autorité, divers exemples encore plus frappants de réflexion et de raisonnement.

Pour ce qui concerne les sentiments, l’auteur trouve chez les animaux tous ceux qu’on rencontre chez l’homme, sauf le sentiment religieux et le sentiment du sublime, qui dépendent d’idées trop abstraites pour se passer des signes. Il croit que les germes du sens moral, sous une forme très-rudimentaire, se rencontrent chez les animaux les plus intelligents, quand on les traite bien. Parmi les divers exemples qu’il cite, en voici un. Étant allé, dit-il, dans la maison d’un ami, j’avais renfermé un terrier dans ma chambre. Furieux d’avoir été laissé à la maison, il mit les rideaux de la chambre en lambeaux. À mon retour, il m’accueillit avec joie. Mais, dès que je ramassai les lambeaux, et que je les lui présentai, l’animal se mit à hurler et à gémir en s’enfuyant vers l’escalier. Ce fait est d’autant plus remarquable que l’animal n’avait jamais été châtié : je ne puis donc y voir qu’un certain sentiment de repentir.

L’auteur termine en comparant les animaux, sous le rapport intellectuel, avec les êtres humains dépourvus de langage : les sauvages les plus inférieurs, les petits enfants[1], certains idiots, les sourds-muets non instruits, et il conclut « que la seule différence que l’analyse puisse découvrir entre l’esprit de l’homme et l’esprit des

  1. Au sujet de l’acquisition du langage par les enfants, l’auteur cite un fait qui peut être rapproché des observations exposées ici par M. Taine (Revue philosophique, tome I, n° 1). Un enfant appelait un canard « quack », et, par une association spéciale, il désignait l’eau par le même mot. Par une ressemblance de qualités qu’il avait saisie, il étendit ce terme « quack », d’une part à tous les oiseaux et insectes, d’autre part à tous les liquides. Par une appréciation encore plus délicate des ressemblances, il désignait toutes les pièces de monnaie par « quack », parce que sur un décime français il avait vu un aigle. C’est ainsi que ce mot en était venu à désigner des choses aussi différentes, qu’une mouche, du vin, un shilling.