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ront. On a vu par les pages précédentes que la lecture du De servo arbitrio (dont la plupart des historiens et des critiques n’ont pas manqué de parler) avait été loin d’être dans la jeunesse de Leibniz un simple accident. L’esprit de ce livre avait survécu dans les universités. Thomasius lui-même avait conservé les principaux traits de ce dogme où l’action de Dieu et de sa volonté laissait à la liberté de l’homme une place que nous trouvons bien restreinte : et pourtant il en avait adouci plusieurs. Ainsi fit Leibniz. Séduit un instant par le génie vigoureux de Hobbes[1] et par sa dialectique puissante, il n’est pas téméraire de croire qu’il fut soutenu et en partie préservé par le souvenir de la critique si sensée par laquelle son maître avait combattu les applications sociales de cette doctrine. En un mot, le caractère souvent incertain de son déterminisme, ses efforts plus ou moins heureux pour se contenter d’une influence qui incline sans nécessiter, ses distinctions plus subtiles que concluantes sur les divers genres de nécessité, sur la différence de la nécessité et de la contrainte, tout cela porte l’empreinte de cet esprit commun à tant de protestants et de jansénistes du xviie siècle, de cet esprit qui inspirait les professions de théologie ou de philosophie de toutes les universités luthériennes.

Nous n’insisterons pas davantage, ne voulant pas exagérer l’importance de cette étude. Rappelons-le seulement pour terminer : ce serait une erreur de croire que Leibniz, au sortir de l’Université de Leipzig, ait rompu sur tous les points avec l’enseignement qu’il y avait écouté ; cet enseignement n’était d’ailleurs ni si scolastique, ni si pâle et si effacé qu’on l’a dit. Leibniz était sorti de ces bancs fort instruit de l’histoire des philosophies, ancienne et scolastique, assez détaché de cette dernière, et assez préparé cependant à revenir vers quelques-unes de ses idées les plus importantes, très-pénétré de l’esprit du christianisme, attaché pour toujours à la secte luthérienne et désireux d’en adoucir les théories sur la liberté humaine sans les répudier. En tout cela, il fut et resta l’élève de Jacques Thomasius.

Henri Joly.

  1. Voyez F. de Careil, Nouvelles lettres et opuscules inédits de Leibniz, Introduction et lettres à Hobbes contenues dans le volume.