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proprement dite ; et la nature humaine, quand il se demande quel bien elle est capable de faire, lui apparaît moins affaiblie, plus noble et plus maîtresse d’elle-même, que lorsqu’il se demande quelles vérités elle est capable de reconnaître et de découvrir par sa propre intelligence.

C’est parce qu’il tient à cet optimisme relatif qu’il juge Hobbes aussi sévèrement au moins qu’il a jugé Machiavel. Le droit de Hobbes n’est pas un droit applicable à l’homme. C’est un droit bestial, jus bestiale[1]. Toutes les fois qu’il prononce son nom, il avertit les jeunes gens que c’est un auteur diabolique, qu’il n’y a « aucun or à tirer de son fumier ni aucune once de bonne liqueur de son poison. »

Que prétend-il, en effet, ce Hobbes ? Que l’état de guerre est l’état naturel de l’homme ; mais c’est là aussi un fruit du paganisme, c’est une idée cueillie dans Epicure. Et encore, le philosophe anglais a-t-il trouvé le moyen de se montrer plus scandaleux que les païens eux-mêmes.

Platon et Epicure ont eu chacun leurs hypothèses sur les origines de l’humanité, par conséquent sur l’état de nature ou sur l’état qui a dû être, dit-on, l’état premier de la race humaine[2]. Tous les deux se sont trompés. « L’erreur de Platon, qui assimile les bêtes à l’homme, est plus tolérable que celle d’Epicure, qui ravale l’homme jusqu’aux bêtes. Mais toutes deux sont à éviter. » Or, c’est bien d’Epicure que Hobbes procède, et de là « les éloges que lui donne Gassendi, son disciple ou son maître, on ne sait. »

Gassendi cependant a essayé de corriger Epicure sur quelques points, notamment pour l’immortalité de l’âme, tandis que Hobbes

  1. De jure bestiali Hobbesii, præmissa disputationi habitæ de latrocinio gentis in gentem (1667).
  2. Cette expression état de nature n’a jamais été bien claire, et les controverses ont contribué presque toujours à l’embrouiller davantage. Ainsi dans les querelles du jansénisme, ce mot prenait un sens particulier. Quelques-uns entendaient par là un état qui n’était ni celui de la parfaite innocence du premier homme dans le paradis terrestre, ni celui d’Adam et de sa postérité après la chute, mais celui d’une nature ne connaissant ni le secours surnaturel de Dieu ni sa malédiction. D’autres théologiens prétendaient que c’était là une pure abstraction, une hypothèse arbitraire et même impie, aucun état n’ayant pu exister en dehors de ces deux états dont parle l’Écriture, l’un avant, l’autre après le péché. « La possibilité d’un état où l’homme eût été créé sans la grâce originelle d’Adam, mais aussi sans péché originel (ce qu’on appelle état de pure nature), fut toujours un objet d’horreur pour les jansénistes comme pour les disciples de Calvin, parce que c’est leur ôter un des principaux appuis de leur système. Le zèle du Père Quesnel ne s’y est pas oublié en cette occasion (le Père Quesnel hérétique ; voy. ouvr. cité, p. 112-113). Mais Thomasius se place plutôt ici au point de vue des controverses et du langage du droit romain et de ce qu’on appelait le jus naturale, commun aux hommes et aux animaux.