Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/495

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
485
joly. — la jeunesse de leibniz

avoir deux camps ; on doit reconnaître que la vérité est une, sous peine de violer ce principe que la nature a enfoncé dans nos esprits : fieri non posse ut idem simul sit et non sit. Ce funeste penchant a contribué à multiplier les sectes en philosophie, ce qui incline les esprits au scepticisme. Deux erreurs ici sont à éviter, l’une que toutes les religions sont bonnes, l’autre qu’elles sont toutes mauvaises…

Mais Thomasius ne cherche pas seulement l’accord des deux puissances. Visiblement, il subordonne la raison à la foi, et sa préoccupation constante est de proscrire toutes les doctrines, je ne dis pas qui contredisent le dogme chrétien, mais qui ne s’accordent pas nettement avec lui. Ainsi, pour l’origine de l’âme, il est plutôt favorable au traducianisme qu’à l’infusianisme, parce que la première opinion, dit-il, « conduit mieux à la salutaire connaissance du péché originel. »

Ce dogme chrétien, on sait où Thomasius en place l’expression, suivant lui, pure et achevée : c’est dans le protestantisme luthérien. Jamais foi plus absolue et plus intraitable que la sienne ! Il faut voir la sainte indignation qu’il fait éclater contre le papisme, équivalent de l’athéisme, contre cette religion catholique dont le but est le bien-être et l’autorité temporelle des prêtres… qui enseigne le polythéisme, et contre laquelle il est toujours opportun de répéter cet avertissement : Dei multi, Deus nullus ! Mais les sectes dissidentes ou infidèles à Luther ne sont pas mieux traitées. À côté de la condamnation de ce dualisme que certains philosophes voulaient établir par la séparation de la science et de la foi, nous pouvons lire aussi d’éloquentes apostrophes contre « ce honteux mélange de vrai et de faux qu’on nomme le syncrétisme et qui veut unir le Christ avec Bélial… Que les païens, pressés par les théologiens, aient tenté de concilier Épicure avec Zénon, Platon avec Aristote, on le conçoit ! Mais nous, éclairés par l’Évangile ! Et pourtant il en est qui voudraient concilier Luther avec Calvin, saint Paul avec Platon, saint Pierre avec Aristote… la foi chrétienne avec les folies des païens[1]. »

Cet esprit n’était point particulier à Thomasius ni à l’Université de Leipzig. Au siècle précédent, quand Juste-Lipse, chassé de son pays par la guerre, était venu demander un refuge à l’Université d’Iéna, il n’avait pu y obtenir une chaire qu’à la condition d’embrasser le luthérianisme. On n’eût pas accepté un calviniste. Ces dispositions religieuses et sectaires avaient été entretenues par le succès des manuels de Mélanchthon, dont l’un (Loci communes rerum theologicarum) eut plus de cent éditions et qui était particulièrement suivi, dit Buhle, dans les Universités saxonnes. J’ai sous les yeux

  1. De sectarum conciliationibus, prsemissa disputationi de hac questions an Deus sit materia prima. 1668.