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des premiers essais des condisciples de Leibniz. « Quant à ces dialogues que je t’envoie, écrivait-il un jour[1] à ce dernier, ce n’est ni pour toi ni pour tes pareils que je les ai composés, c’est pour des jeunes gens bien préparés sans doute, mais bien éloignés de te valoir. » Rien de plus juste à coup sûr, et cette phrase doit s’appliquer très-exactement au livre dont nous nous occupons. Ce qui, en dépit de cette modestie, mérite quelque attention, c’est l’expression des opinions propres au maître lui-même : c’est le témoignage fidèle et naïf de la direction qu’il essayait de donner à ses élèves. Ce n’est pas qu’il s’élève toujours très-haut dans ces petits préambules débités, pour ainsi dire, en famille. Un mélange d’invocations pieuses et d’anecdotes grivoises, des allusions à ses petites affaires de ménage (negotiolis) et à une maladie récente qui l’ont empêché de méditer comme il l’eût voulu sur une question difficile[2], un détour plein d’une rhétorique ingénieuse soutenue par des antithèses cadencées pour passer du sujet de l’argumentation à la célébration du saint du jour, et, réciproquement, des encouragements paternels donnés au récipiendaire, voilà autant de traits qui provoquent surtout un doux sourire et dont le plus grand agrément est de nous montrer comment la bonhomie germanique n’a pas été toujours un vain mot.

Mais arrivons à quelque chose de plus sérieux. Essayons de recomposer d’après cette série de petits discours l’enseignement que Leibniz a écouté, que, de son propre aveu, il a goûté et médité pendant les meilleures années de sa première jeunesse.

Ce qui frappe par-dessus tout, parce que cela revient à peu près partout, c’est la volonté de maintenir fortement l’union de la philosophie et de la théologie, de la science et de la foi. Bon nombre d’esprits, Thomasius les connaît et il les flétrit vigoureusement, estimaient à cette époque qu’il pouvait y avoir deux vérités distinctes et séparées, au point que, suivant eux, on pouvait dire blanc en théologie, noir en philosophie sans se contredire. Ainsi, au commencement du siècle, une controverse s’était élevée sur cette question : Dieu est-il cause accidentelle du péché ? Les théologiens soutenaient la négative, les philosophes l’affirmative ; et ceux-ci se croyaient en droit de maintenir leur opinion sans être hérétiques : ils avançaient une chose en philosophie au nom de la raison, ils en professaient une autre en théologie au nom de l’autorité. Mais, théologien ou philosophe, dit Thomasius, il faut opter, ou plutôt, comme Leibniz le répétera dans ses Discours préliminaires de la Théodicée, il ne saurait y

  1. Octobre 1670. Il s’agissait sans doute de quelque travail scolaire analogue à celui-ci.
  2. Cette question est précisément celle de Leibniz.