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compayré. — psychologie de l'enfant

de ce genre qui ont désormais leur place marquée dans une théorie complète de la nature humaine. Mais de pareilles questions méritent d’être traitées à part, avec le soin qu’elles comportent : il ne convient pas de les agiter incidemment au milieu des mille anecdotes que l’existence des enfants fournit à ses biographes.

De plus les explications de M. Pérez ont une tendance franchement mécanique et excluent toute idée de cause finale. Tout dérive à ses yeux d’une évolution, d’une transformation fatale. Il en résulte que l’auteur considère de préférence chez le nouveau-né les aspects douloureux. Ce sont les parties sombres du tableau qu’il met en relief. C’est en pessimiste amer qu’il parle du début de l’homme dans la vie. « Tous les sens de l’enfant sont battus coup sur coup d’impressions insolites et choquantes. Le nouveau-né est aveugle et sourd : les traits éblouissants de la lumière n’en frappent pas moins ses yeux de sensations indistinctes, mais blessantes ; des tourbillons étourdissants d’ondes aériennes n’en heurtent pas moins son tympan de rudes vibrations. Faut-il s’étonner que cette brutale prise de possession par la nature extérieure détermine chez l’enfant les cris plaintifs, les vagissements pénibles que le poète a si énergiquement dépeints ? — L’enfant à sa naissance, comme le nautonnier jeté sur le rivage par les ondes en courroux, est étendu à terre, nu, dénué de tous les secours de la vie[1]. — Ce sont là des exagérations convenues que la réalité dément. Non, l’homme n’est pas jeté nu sur la terre nue. Il trouve tout de suite pour s’y reposer, pour s’y nourrir, le sein de sa mère, et c’est un doux oreiller, avec sa tiède chaleur et ses moelleux contacts, que la nature lui a ménagé dès sa naissance. D’autre part, les premières perceptions n’ont pas ces rudesses brutales qu’on prétend. C’est par des transitions graduelles et avec des ménagements infinis que la nature conduit à la possession complète de la vue et de l’ouïe l’être aveugle et sourd qui vient de naître. Si la peinture de M. Pérez était exacte, ce serait vraiment un prodige que, sur tant de créatures appelées à la vie, un si grand nombre pût réussir à triompher des difficultés accumulées sur leur passage, tandis que quelques-unes seulement échouent dans le développement de leurs organes sensibles. Quoi qu’on fasse, on n’expliquera jamais par la seule évolution mécanique l’adaptation merveilleuse de l’organisme si frêle de l’enfant avec le milieu où il est placé, et la philosophie aura toujours à tenir compte des faits innombrables qui, dans les premiers temps de la vie de l’homme, témoignent d’une nature prévoyante partout présente et agissante.

  1. Lucrèce, De Nat. rerum, l. V, 222.