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compayré. — psychologie de l’enfant

définition inexacte du sens moral, une définition qui en infirme et en atténue la portée, et une interprétation illusoire de certains actes de la vie enfantine. Quels sont ces faits rapportés soit par M. Darwin, soit par son continuateur M. Pérez ? — Doddy, à treize mois, paraît sensible aux reproches de son père, qui l’appelle « méchant ». À deux ans et cinq mois, Doddy resté seul prend du sucre, ce qu’il sait lui être défendu : son père le rencontre au moment où il sort de la salle à manger et lui trouve dans l’attitude quelque chose d’affecté et d’étrange. « Je crois, ajoute Darwin, que cette attitude devait être attribuée à la lutte entre le plaisir de manger le sucre et un commencement de remords. » Les exemples donnés par M. Pèrez sont de même nature. Un enfant de onze mois obéit, quand son père grossit la voix et lui dit : « Tais-toi. » Il ne veut pas encore marcher seul, mais son père obtient qu’il fasse quelques pas vers lui, en lui présentant une moitié de pêche. — Il faut quelque bonne volonté pour décorer de l’épithète de morales des actions où se manifeste seulement le désir d’une satisfaction sensible, la crainte d’une douleur associée par la mémoire à tel ou tel acte, tout au plus la distinction entre les caresses et les menaces paternelles. L’association des idées et la mémoire, s’ajoutant à une sensibilité consciente du plaisir et de la peine, suffisent largement à expliquer l’obéissance relative que l’on obtient de l’enfant, et nous nous refusons à croire « qu’un baby est en possession du sens moral, dès qu’il obéit par habitude ou par crainte ».

Ce n’est pas que je prétende nier l’importance de ces premières distinctions sensibles, utilitaires, pour l’acquisition future des distinctions morales. Le grand artiste de la nature procède par ébauches successives ; mais il ne faudrait pas vouloir aller plus vite que lui, supprimer les transitions, confondre le prologue avec la pièce, le prélude avec la mélodie. C’est ce que fait encore M. Pérez quand il attribue aux enfants la puissance d’abstraire et de généraliser. Sans doute, il avoue que les abstractions de l’enfant ne ressemblent pas à celles du mathématicien « qui exigent un certain effort de l’intelligence ». Mais cela ne suffit pas et il faudrait aller jusqu’à reconnaître que le mot d’abstraction ne convient en aucune façon pour désigner cette analyse naturelle et réelle qui n’est que la perception successivement promenée sur les diverses parties des objets. Dans le système de M. Pérez, à l’encontre de toutes les opinions reçues, c’est précisément par l’abstraction que commencerait le travail de l’esprit. « Aux perceptions primaires, morcelées, isolées, que nous avons considérées comme les premiers abstraits, se joignent peu à peu les perceptions secondaires dont l’ensemble va