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au contraire le même enfant dans une chambre un peu nue, un peu sombre, où les sollicitations sensibles sont rares ; faites en sorte qu’il ne voie que son syllabaire, et vous obtiendrez qu’il répète à peu près docilement sa leçon. Mais, ici encore, vous n’aurez pas affaire à un esprit véritablement attentif, faisant effort de lui-même pour suivre une direction donnée : vous n’avez devant vous qu’un être passif, que vous maintenez, à force d’art et avec beaucoup de ménagements, dans la dépendance d’une sensation unique, celle de la syllabe que vous lui faites épeler, et qui vous échappera à la première occasion pour devenir l’esclave d’une sensation nouvelle. Extérieurement, par son immobilité, par la fixité de son regard, l’enfant qui suit un bruit inaccoutumé, qui voit avec plaisir un objet brillant et coloré, peut ressembler à un homme attentif : mais cette espèce d’assujettissement où le retient une impression unique, à l’exclusion de toutes les autres, n’a de l’attention que les dehors.

Dans les comparaisons que les psychologues de l’école de Darwin instituent entre les animaux et l’homme, il est facile de distinguer une double tendance dont on devine l’intention et le but : d’une part, on apprécie au plus bas mot les facultés humaines, on vide de leur contenu essentiel les notions qui les représentent ; d’autre part, on transfigure, on exalte les moindres faits de la vie des animaux, on interprète avec une admiration complaisante quelques-unes de leurs actions. De sorte que, grâce à ce mouvement contraire qui tend à amoindrir l’homme tandis qu’on relève la bête, l’intervalle de ces deux formes de l’existence est singulièrement diminué ; les deux rives se rapprochent, et, quand on veut passer de l’une à l’autre le passage est facile. Ce sont quelquefois des procédés analogues que M. Pérez emploie dans les comparaisons qu’il est sans cesse appelé à établir entre les facultés de l’enfance et celles de la maturité. Il en est ainsi notamment pour le sens moral que l’auteur n’hésite pas à attribuer à l’enfant. On dirait même qu’il craint de lui accorder trop peu, de lui faire la mesure trop courte, en plaçant à six ou sept mois l’éveil des distinctions morales ! « La notion tout objective du bien et du mal ne peut guère se constater avant six ou sept mois. » M. Darwin lui-même, si généreux envers les enfants comme envers les animaux, déclare n’avoir observé le sens moral chez ses enfants que vers l’âge de treize mois. Mais nous ne tenons pas à quelques mois de plus ou de moins, car nous sommes convaincu que ni à deux ans, ni à trois, ni même beaucoup plus tard, l’enfant n’est en état de discerner véritablement le bien du mal. Pour le croire capable de moralité, il faut à la fois accepter une