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charpentier. — la logique du hasard

idéales doit se placer celui qui veut étudier la mécanique rationnelle. Mais pourquoi s’imposer de telles conditions ? Parce qu’il est impossible de faire autrement. Comme le remarque fort bien Poinsot, il n’y a peut-être pas une seule molécule qui jouisse d’un repos absolu. Eh bien, je demande s’il est possible d’étudier ou même de concevoir la science du mouvement sans l’idée du repos. En tous cas, dira-t-on, la mécanique entendue de la sorte est une science purement idéale et par conséquent purement chimérique. Point du tout. La mécanique est une science très-solide et très-positive, car l’expérience qui ne peut vérifier ses principes à cause de leur simplicité vérifie toutes ses conclusions. Sans cette science idéale, qu’on appelle la mécanique, les résultats de l’expérience ne pourraient être interprétés.

Voici, je crois, la suite logique des opérations intellectuelles que nous avons à considérer. Les phénomènes de la nature sont produits d’ordinaire par des groupes d’antécédents trop complexes pour qu’on puisse les démêler immédiatement par l’observation. On tâche donc d’observer quelques phénomènes très-simples qui puissent s’expliquer par des principes ou hypothèses très-simples elles-mêmes et très-générales. On développe par la déduction les conséquences de ces principes et on recherche si ces conséquences sont conformes à l’expérience.

Cette méthode est-elle contraire à la doctrine bien connue de M. Stuart Mill ? Nullement. N’est-ce pas M. Stuart Mill qui dans deux admirables chapitres de son Système de Logique (L. III, ch. x et xi) a démontré que, quand les effets des causes concourantes sont composés, la méthode d’expérimentation pure, comme la méthode d’observation pure, est inapplicable (§§ 7, 8) ? N’est-ce pas lui encore qui a résumé en ces termes la vraie doctrine sur ce point :

« Le mode d’investigation qui, par suite de l’inapplicabilité constante des méthodes directes d’observation et d’expérimentation, reste comme principal instrument de la connaissance acquise ou à acquérir relativement aux conditions et aux lois de réapparition des phénomènes les plus complexes, s’appelle, au sens le plus général, la méthode déductive et consiste en trois opérations : 1° une induction directe ; 2° un raisonnement ; 3° une vérification (C. XI, § 1). »

C’est ainsi qu’une discussion sur le principe de la raison suffisante nous a conduits insensiblement à des considérations générales sur l’emploi de la méthode mathématique dans l’étude de certaines questions qui appartiennent essentiellement à la physique. Nous pouvons maintenant rechercher si ces mêmes considérations ne peuvent pas éclaircir le point particulier qui nous occupe.

Si l’on n’avait jamais observé qu’au jeu de pile ou face les pertes