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dastre. — le problème physiologique de la vie

exprimer ainsi, le premier degré de la pensée de M. Chauffard. C’est la pensée tant de fois reproduite : Homo factus est anima vivens, pensée classique, dont tout le mérite n’est plus que dans l’expression qu’on lui donne et dont l’expression ne saurait plus avoir de mérite après celle de Bossuet : « L’âme et le corps forment un tout naturel. » Plus tard, nous verrons l’idée d’unité se compléter par l’idée de spontanéité, puis par l’idée de finalité : « Autonomie vivante, spontanéité vivante, finalité vivante, toutes ces notions primordiales sont solidaires et se résolvent les unes dans les autres. » Elles résument l’idée de vie.

Mais procédons par ordre, et occupons-nous d’abord de l’unité vivante. L’idée d’unité, dit M. Chauffard, est traditionnelle, c’est-à-dire primordiale et nécessaire. C’est là une vérité première. — L’unité vitale est affirmée par le moi sentant, réagissant et voulant : c’est la perception consciente de l’unité humaine qui en est le réel et invincible fondement. Nous nous sentons un. — Cette unité est le fond de notre être spirituel comme de notre être organique.

Notre rôle de physiologiste nous permet de laisser l’être spirituel et de nous rabattre sur l’être organique et sur la façon dont M. Chauffard en comprend l’unité. L’unité de l’être organique a été affirmée par Hippocrate ; elle consiste dans la subordination des parties au tout : « Tout est subordonné à tout le corps, tout l’est aussi à chaque partie. »

Nous devons nous demander si cette subordination est une vérité absolue ? La simple observation des faits nous apprend qu’elle est loin d’avoir ce caractère, et elle nous oblige à considérer des degrés dans l’unité vivante. C’est donc une vérité relative dont on a, à certaines époques, exagéré l’importance, tandis qu’en d’autres temps on l’a trop réduite. Entre l’anarchie des parties et leur absolue subordination, il y a un tempérament : la tâche qui s’impose au physiologiste est de saisir ce tempérament. Nous verrons bientôt avec quelle rare sagacité Claude Bernard a résolu ce difficile problème.

Pour que l’unité fût véritablement un caractère de l’être vivant, il faudrait qu’elle fût absolue. Cuvier a pu croire qu’il en était ainsi, et dans sa lettre célèbre à Mertrud il exprime sa croyance en ces termes : « Toutes les parties d’un corps vivant sont fiées : elles ne peuvent agir qu’autant qu’elles agissent toutes ensemble. Vouloir en séparer une de la masse, c’est la reporter dans l’ordre des substances mortes, c’est en changer entièrement l’essence. » C’est là une erreur de fait, erreur réfutée par une multitude d’observations et d’expériences dont la plupart était déjà banales au temps où La Mettrie écrivait son Homme-Machine ; contentons-nous de citer,