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kantienne, de cette philosophie qui, après avoir cédé la place quelque temps aux grandes constructions systématiques, a repris son ascendant et, avec la méthode expérimentale, est le caractère dominant de la philosophie contemporaine.

Ce qui fait le mérite propre et peut-être l’utilité la plus grande de cette publication, c’est l’histoire de ces idées que l’auteur place avant la critique, histoire qui jusqu’ici, comme il le dit avec raison, avait été beaucoup trop négligée. Cette histoire, en effet, n’est-elle pas nécessaire pour les faire bien comprendre ? La critique elle-même est-elle suffisamment éclairée et peut-elle remplir convenablement sa tâche, si elle se contente de les prendre au moment actuel sans connaître ce qui précède, si elle ignore leur mouvement génétique ainsi que les diverses modifications qu’elles ont subies dans leur développement successif et antérieur ? C’est ce que M. R. Eucken a parfaitement compris. Quoique son travail, sous ce rapport, soit loin d’être complet et laisse à désirer, ce n’en est pas moins une pierre d’attente et un exemple qui mérite d’être’ suivi. En tout cas, ce qu’il a fait est loin d’être inutile même à ceux qui sont le plus au courant de l’histoire de ces idées, éparse soit dans les travaux qui en contiennent la critique, soit dans les systèmes qui ont trop souvent intérêt à la défigurer.

Voici la liste des idées fondamentales, dont l’auteur, avant de les soumettre de nouveau à l’examen, retrace brièvement l’histoire : Subjectif et objectif. — Expérience. — À priori et inné. — Immanent et cosmique. — Monisme. — Dualisme. — Loi. — Développement. — Principe causal : mécanique, organique, téléologique. — Culture. — Individualité. — Humanité. — Réalisme ; idéalisme. — Optimisme. — Pessimisme.

Nous ne pouvons qu’indiquer l’esprit selon lequel ces matières sont traitées, et signaler les points les plus intéressants que l’auteur a cru devoir surtout développer.

Cet esprit, je l’ai dit, c’est celui de la critique kantienne, mais, en même temps, d’une critique qui, quoique ennemie du dogmatisme, croit devoir être plus sage et plus réservée dans ses conclusions ; d’autre part, elle se croit aussi obligée de signaler, dans les systèmes nouveaux qui eux-mêmes s’imaginent être fidèles à l’esprit critique, un nouveau dogmatisme qui souvent érige en axiomes, ou en résultats acquis à la science, tantôt ses négations, tantôt ses affirmations souvent les plus hardies et les plus téméraires, sans pouvoir les justifier d’une manière suffisante aux yeux de la véritable critique.

Notre époque, dit-on, est revenue de ces hautes constructions spéculatives où la pensée s’est complu pendant la première moitié de ce siècle. En Allemagne, en Angleterre, en France, partout on proclame la méthode expérimentale comme la seule qui puisse fonder la science et une philosophie solide ; la critique aussi est à l’ordre du jour, et elle prétend exclure le dogmatisme ; c’est le seul point commun, le rendez-vous de toutes les écoles.