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où « le mouvement réflexe, instinctif et sans but cède la place à la tentative active du toucher » (die tastende Versuchsbewegung).

Mais ce n’est là que l’origine, le germe rudimentaire d’un processus infiniment complexe et raffiné qu’il s’agit de ramener à des termes plus simples. L’analyse découvre-t-elle dans la pensée, arrivée à son degré de perfection, des éléments à priori, ou ne faut-il y voir que le développement régulier de la sensation primitive à l’aide de la « reproduction » ? L’auteur, avant de répondre, interroge sur ce point les différentes écoles philosophiques.

Nous ne le suivrons pas dans ce long résumé historique, où sont passés successivement en revue Platon, Aristote, les scolastiques, Descartes, Spinoza, Locke, Hume, Leibniz, Kant, Hegel, Schopenhauer et les plus récents auteurs allemands, depuis Herbart et Beneke jusqu’à Fortlage, Wundt, Bergmann, Schuppe, Spir, etc. Il peut paraître seulement extraordinaire que, dans un historique si complet en ce qui touche les philosophes d’outre-Rhin, il ne soit fait nulle mention de l’École « associationniste » anglaise, ni des éminents penseurs français qui s’y rattachent.

Le résultat le plus clair de cette étude rétrospective, c’est que le terme pensée n’est pas de ceux qui ont présenté à toutes les époques la même étendue de signification. Après avoir longtemps désigné d’une manière générale toutes les formes de l’activité intellectuelle qui s’opposent à la pure expérience sensible, le sens de ce mot a fini par se restreindre au processus psychologique qui tend à la production de la connaissance par la triple opération de la conception, du jugement et du raisonnement. L’unité comme but, l’association des idées comme moyen, tels paraissent être les traits caractéristiques de ce mode d’activité.

Voilà à quelle conclusion mène l’histoire et même l’étymologie. Que nous apprennent les sciences naturelles ? Quelles dispositions organiques correspondent à ces deux grands faits d’unité et d’association et peuvent servir à les expliquer ? La « physiologie de la pensée » nous fournit là-dessus deux données importantes :

1° La pensée n’a pas d’organe particulier différent de l’organe de la conscience, de la reproduction intellectuelle, etc. Ce sont toujours les cellules, ganglions, fibres et fibrilles de la substance nerveuse, principalement des hémisphères.

2° Les fibrilles terminales qui prolongent les extrémités des ganglions établissent entre ceux-ci des commissures intermittentes et variables suivant l’activité plus ou moins grande de l’afflux sanguin. Sauf quelques grandes lignes, cette espèce de filet d’une extrême ténuité ne présente rien de régulier ni de permanent ; c’est un réseau mobile qui se fait, se défait et se refait à chaque congestion partielle qui accompagne le travail intellectuel. On comprend facilement l’importance de ce fait pour la théorie de l’association[1].

  1. L’auteur suit généralement Wundt dans la partie physiologique de ses analyses.