Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
analyses. — hüber. Der Pessimismus

déceptions, avaient voulu supprimer le désir même et avaient exigé du sage l’insensibilité, sous le nom de résignation. Épicuriens et stoïciens s’accordaient ainsi dans la conclusion et prenaient pour devise l’apathie. — Et les sceptiques, les plus logiques de tous, ayant compris que l’indifférence du cœur suppose celle de l’esprit, et qu’on ne peut détruire une partie de l’homme et laisser vivre l’autre, faisaient pénétrer l’indifférence jusque dans l’intelligence. — Voilà donc à quoi se réduisait le bonheur : à l’inertie. Pourquoi ne pas l’avouer ? c’était la mort que les âmes fatiguées cherchaient, appelaient sous ces différents noms : ataraxie, apathie, suspension de l’esprit. Le dernier disciple d’Aristippe, plus fidèle qu’on ne pense à son maître, Hégésias, le fit bien voir ; ceux qu’il décida à se tuer (et il y en eut tant qu’il y gagna le surnom d’apôtre du suicide, πεισιθάνατος) étaient des hommes à qui il enseignait à mieux lire en eux-mêmes et à y découvrir le secret désir dont ils étaient travaillés.

De nos jours, l’Allemagne voit les mêmes doctrines renaître des mêmes causes. Son idéal, en se réalisant, s’évanouit. La science, qui semblerait devoir relever l’homme, est gagnée elle-même par l’esprit pessimiste, dont c’est le propre de s’étendre et de pénétrer l’âme tout entière. Dans d’autres pays, la théorie de Darwin a paru une nouvelle confirmation, mieux encore, un élargissement de la doctrine du progrès. Là-bas, on en a mieux jugé : le progrès, quand il y en a eu dans le monde, n’a été qu’un hasard ; la nature, qui nous ignore, suit sa voie ; l’homme appelle ce qu’elle produit bien ou ma), que lui importe, à elle ? Le jugement de l’homme est encore un de ses produits, nécessaire comme les autres, et changeant aussi. L’idéal, dit Hellwald (Histoire de la civilisation), n’est qu’une erreur générale ; un jour viendra où notre idéal semblera ridicule à nos descendants. Ainsi, ce qui nous paraît bon et vénérable, et qui nous gouverne, n’est rien de plus solide que le reste. C’est une folie propre à l’homme de s’éprendre de ces illusions, par lesquelles la nature le mène, de s’y sacrifier, d’aimer enfin. Vanité ! l’amour jamais ne produisit rien ; et la lutte pour l’existence, tout. De même, Héraclite disait que la guerre est la mère de l’univers. Donc plus d’abnégation, chacun pour soi, « La science même, ajoute un autre darwiniste, Scherr, n’a d’autre utilité que de nous adoucir la vie ; par l’industrie, elle est la pourvoyeuse de nos désirs. Et quant à ces questions : Pourquoi sommes-nous là ? et d’où venons-nous ? c’est une sottise d’y attendre une réponse. » D’ailleurs n’espérons pas être plus heureux par cette façon nouvelle d’entendre la vie : « Nous saluons la vie par des larmes ; nous lui disons adieu dans un râle ; et quant à l’intervalle, les joies qui s’y trouvent ne valent pas la peine que nous coûtent, pour pousser et pour tomber, nos dents. » Dès lors faut-il tenir à la vie ? Cette fois, ce sont les nihilistes russes, grands darwiniens, qui ont tiré la conclusion, comme jadis le πεισιθάνατος.

Arrivé là, le pessimisme semble avoir achevé son développement. Il ne fait que le commencer. Mais, à partir de ce point, M. Hüber ne nous