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h. spencer. — conscience sous l’action du chloroforme

devinrent extrêmement vagues et qu’il en resta d’assez distincts. Il importe beaucoup de noter leurs relations : 1° D’abord cessèrent les sensations dérivant des sens spéciaux, puis l’impression d’une force agissant du dehors sur le corps, et en même temps cessa la conscience des relations de l’espace externe. 2° Il resta un sens vague des relations de position à l’intérieur du corps ; ce sens s’affaiblit graduellement pour ne laisser que celui des relations d’espace impliquées par la conscience des pulsations du cœur. 3° Ce groupe de sensations liées entre elles et produites par l’action du cœur constitua finalement toute la partie du moi restée distincte. 4° Au retour de la conscience, nous notons d’abord un sentiment de pression quelque part ; il n’y avait aucune conscience des relations d’espace à l’intérieur du corps. 5° La conscience de ceci n’était pas à bien dire une connaissance : dans une lettre mon correspondant dit : « La connaissance semble impliquer une installation dans quelque concept antérieur, pour parler avec Kant, et ici précisément ce n’était pas le cas ; » c’était-à-dire que la conscience était réduite à une condition dans laquelle il n’y avait plus ce classement d états qui constitue la pensée. 6° La douleur engendrée par la pression était également générale au lieu d’être locale. 7° Quand la douleur se localisa, sa position dans l’espace était vague : en haut, à droite. 8° Quant à l’apparition de la jeune fille qui, d’après la remarque de mon correspondant, semble être survenue d’une manière un peu extraordinaire, il dit dans une lettre : « Je ne la reconnus sous aucun concept ; ce que je vis semblait presque une intuition spontanée au sens de Kant. » 9° La localisation de la douleur était d’abord tout à fait impossible ; la conscience était de cette partie, par opposition à toutes les autres parties non localisées.

Ces expériences sont une confirmation remarquable de certaines doctrines exposées dans nos Principes de Psychologie. L’affaiblissement graduel de la conscience par le chloroforme, qui d’abord éteint les facultés supérieures et ensuite atteint les facultés inférieures, peut être considéré comme reproduisant la genèse ascendante de la conscience qui s’est produite dans l’évolution, et les phases descendantes peuvent être considérées comme reproduisant dans l’ordre inverse les phases ascendantes. Il faut donc noter que les impressions dérivées des sens spéciaux, cessant les premières, laissent derrière elles, comme impression dernière venant de l’extérieur, le sentiment de la force extérieure qui vient de la résistance intérieure que nous opposons, car celle-ci est l’élément primordial de la conscience[1]. D’un autre côté, le fait que la conscience de

  1. Voir les Principes de Psychologie, § 347.