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séailles. — philosophes contemporains

En présence de ces problèmes derniers, c’est un devoir de se recueillir, c’est un droit d’avouer son trouble et de laisser passer le premier vertige avant d’en affronter la solution. Il ne nous appartient pas de trancher le débat : mais peut-être M. Ravaisson demanderait-il à interroger ses adversaires à son tour. — Question pour question. Qu’est-ce que c’est que cette liberté, dont vous faites si grand bruit ? Est-ce une puissance indifférente, qui n’est rien encore, qui peut tout devenir ? Votre liberté se confond alors avec la force physique, et, si tout vient d’elle, le monde est l’œuvre d’un mécanisme aveugle. Mieux vaut la fatalité du bien que cette lutte de forces s’équilibrant au hasard. Admettez-vous que la perfection soit la fin vers laquelle tende la liberté ? Alors cette liberté, qui n’est plus que la cause efficiente, se subordonne au bien, qui est la cause finale, et vous voici contraints d’avouer que l’effort est en raison directe de l’amour, qu’il ne s’en distingue pas plus que le mouvement de sa direction. — Mais alors l’individu n’est plus rien. — Pourquoi ? Cet amour, c’est ce qu’il y a de plus intime, de plus personnel, c’est l’âme même, se saisissant dans sa nature et dans ses lois, dans son origine et ses destinées. — Mais cet amour est fatal ; c’est une impulsion, un entraînement ; c’est une possibilité d’actes qui se déroulent nécessairement. Nous ne marchons pas, nous sommes poussés. — Toute âme contient en germe une fleur de beauté qu’un effort spontané plus ou moins y fait épanouir. Préférez-vous à cette éclosion naturelle du bien les combinaisons et les réussites des forces aveugles ? Votre liberté est peu aimable ; c’est bonheur qu’elle n’existe pas. Où est l’individu libre qui se crée lui-même, qui n’est que ce qu’il veut ? Ignorez-vous les inégalités natives, les malédictions originelles, la solidarité dans le bien comme dans le mal ? L’homme n’est pas distinct des hommes ; les hommes ne sont pas distincts du monde, ni le monde de Dieu. — Mais sans le libre arbitre, puissance indéterminée, qui ne subit que les lois qu’elle crée, que devient l’histoire avec ses incertitudes, ses erreurs en tous sens, ses élans soudains, ses reculs inattendus ? — Le monde actuel n’est que l’histoire de la lente résurrection de Dieu. C’est au milieu des luttes et des combats, sous le stimulant de la douleur, que se réveille la conscience divine. Qui dit progrès ne dit-il pas erreur, défaillance, relèvement, le bien après le mal et par le mal ? — Mais, sans le libre arbitre, que devient la responsabilité ? Le méchant est une victime du destin. — Si cet homme fait le mal, c’est qu’il est le mal ; les motifs auxquels il obéit ne sont pas distincts de lui-même. Vous supposez à tort dans l’individu je ne sais quelle puissance indifférente, restant en dehors des actes qu’elle accomplit. —