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séailles. — philosophes contemporains

sent les plus justes critiques. Comme il arrive presque toujours, ce sont moins les adversaires que les partisans du système qui en ont révélé les lacunes. — Nous l’avons vu, tout repose sur l’intuition de rame, qui par une vue directe saisit dans ce qu’elle est ce qui est, dans le mode particulier de son activité, subordonnée à l’amour, la loi universelle, qui soumet le mécanisme à la finalité et étage les êtres selon une hiérarchie savante. — Or, sans nier cette intuition, en admettant même qu’on puisse la prendre pour point de départ d’un enseignement dogmatique, qui veut avant tout la clarté, n’est-il pas dangereux de commencer par l’indémontrable, par l’arbitraire, et d’établir ainsi la philosophie sur une proposition à laquelle tout adversaire a le droit d’opposer une négation irréfutable, s’il est de bonne foi ? Un système n’est plus alors que la perpétuelle affirmation d’une pensée fière d’elle-même. L’exposition d’une doctrine ne doit pas être pour les adeptes, mais pour des esprits libres qu’il s’agit de convaincre. La facilité de l’intuition à justifier toutes les hypothèses, à résoudre les problèmes les plus compliqués, loin de la défendre, la condamne : elle enlève l’envie de chercher et le plaisir de découvrir. En trois intuitions, tout le domaine de la philosophie est parcouru. D’ailleurs c’est toujours dans des actes déterminés qu’on prend conscience de l'âme et de ses puissances, c’est dans ces actes qu’il faudrait étudier sa nature : la théorie de Stuart-Mill sur la formation de l’idée du moi pourrait peut-être servir de point de départ à une démonstration de la réalité de la force intime. M. Ravaisson n’a fait que la métaphysique de sa philosophie[1]. — M. Lachelier n’a pas été séduit par les facilités de la méthode intuitive : il veut qu’on s’attache surtout à établir les principes, en y montrant l’immédiate et nécessaire expression des lois de l’esprit humain, les conditions mêmes de la science et de la pensée. Lui aussi se pose la grande question, qu’on peut appeler le problème philosophique du xixe siècle, la conciliation de la métaphysique et de la science, lui aussi subordonne les causes efficientes aux causes finales ; mais, en acceptant cette solution, il cherche à la déduire de principes incontestables. Partant de l’analyse de la pensée, il ne laisse le choix qu’entre le scepticisme le plus nihiliste ou l’affirmation des deux grandes lois qu’il regarde comme les conditions de l’existence de l’esprit et des choses. Peut-être M. Ravaisson répondrait-il qu’on ne démontre pas ce

  1. Encore, pour être juste, faut-il reconnaître que la thèse sur l’habitude, bien que surtout métaphysique, est un premier pas dans la voie que nous indiquons. On peut se reporter aussi à la critique des systèmes positivistes dans le Rapport de 1867.