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qui, répondant à la réalité, compléterait son accord avec les phénomènes par son accord avec la pensée. Cette confiance de l’esprit en lui-même domine toutes les doctrines du passé. De nos jours seulement, on a prétendu que la science n’avait pas besoin de prouver sa légitimité : nous l’accordons ; mais, par le fait seul qu’elle se constitue, elle est possible, et cette possibilité suppose un rapport entre l’esprit qui conçoit et l’objet qui est conçu. Les sciences positives forment le milieu de la science totale ; elles supposent nécessairement des principes et permettent des conclusions qui les dépassent. Si les positivistes étaient conséquents, au lieu d être les savants ardents et convaincus que nous connaissons, ils ne seraient que des hommes positifs, satisfaits de la science d’un jour qui leur permettrait de vivre. Nier toute métaphysique, c’est nier le principe d’intelligibilité, et mer ce principe, — c’est compromettre la valeur de la science. Or ce qui nous est intelligible, c’est l’ordre. Chaque science consiste à unir sous des lois générales des phénomènes multiples, à créer une harmonie partielle ; la science totale consisterait à soumettre tous les phénomènes à un principe unique, à créer l’harmonie totale. Plus ou moins, l’homme travaille toujours pour la beauté. Toute induction est d’abord une hypothèse, qui ne se recommande que par la puissance d’ordonner qui est en elle. Dans les sciences positives, la vérification est directe, immédiate : l’hypothèse est confrontée avec les phénomènes, qui témoignent pour ou contre elle. En métaphysique, on prétend moins constater ce qui est qu’en chercher la raison ; la vérification par les phénomènes n’est plus qu’approximative : diverses théories se présentent pour expliquer un seul et même objet. L’hypothèse se détend elle-même : c’est sa beauté qui la juge. Plus elle embrasse de phénomènes divers dans son unité féconde, plus elle est riche et simple, multiple et une, plus elle est vraie. Ou la métaphysique ne peut pas exister, ou elle n’est qu’une hypothèse que sa puissance d’ordonner légitime. La théorie définitive serait celle qui répondrait aux besoins de l’esprit et aux exigences de la réalité, la plus simple et la plus complexe, c’est-à-dire la plus belle. Reprocher à M. Ravaisson d’avoir cherché le beau plutôt que le vrai, c’est lui reprocher d’avoir tenté une métaphysique, car en métaphysique la vérité ne se distingue plus de la beauté.

Que M. Ravaisson, en recherchant avant tout l’unité, ait repris la tradition des maîtres et suivi la méthode de toute philosophie, qui ne se borne pas à amasser des matériaux, c’est ce qui nous semble incontestable ; est-ce à dire que sa méthode nous paraisse en tous points définitive ? Les développements qu’elle a reçus et auxquels il a lui-même applaudi, sans les accepter peut-être, nous en parais-