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charpentier. — la logique du hasard

à supposer que la nature se propose, dans le développement de chaque homme, de l’amener à 20 ans à une certaine taille. Au contraire, quand nous tirons à la cible, nous nous proposons d’atteindre le centre ; quand nous mesurons une grandeur, nous nous proposons de déterminer la grandeur exacte, et la différence entre le résultat atteint et celui qui devait l’être est une véritable erreur. Nous verrons plus tard à quelles applications curieuses conduit l’étude de séries de cette classe.

Rien ne prouve qu’une série quelconque se rapporte nécessairement à l’un des trois types que nous venons d’indiquer. M. Venn, d’ailleurs, n’a pas la prétention de donner une classification complète et qui embrasse tous les types possibles de séries ; il veut seulement faire d’abord une distinction qui lui permette d’apporter dans le développement de ses idées la justesse et la précision. Cette remarque faite, nous devons présenter une observation générale de la plus haute importance.

Toute série, à quelque classe qu’elle appartienne, présente dans la succession qui la compose une extrême diversité, mais dans toute série la proportion des événements d’une certaine espèce au nombre total des événements que l’on considère tend vers une certaine limite. Or, quand on examine attentivement différentes séries, on reconnaît que dans les unes la limite est fixe, dans les autres elle varie, mais qu’en général ses variations sont très-lentes et très-petites. Depuis que les hommes jouent aux dés, il ne semble pas que jamais le point 7 ait cessé d’être le plus fréquent, et rien n’autorise à croire qu’il puisse cesser de l’être. Mais, s’il s’agit par exemple de la taille humaine, il n’en va plus de même. Que l’on constate quelle est en 1877 la taille la plus fréquente pour les Français parvenus à l’âge de 20 ans, puis que l’on compare le nombre obtenu au nombre correspondant pour l’année 1777, on trouvera une légère différence. La taille commune des hommes, la durée commune de la vie humaine varient sans cesse. Il peut même arriver que dans certains cas la limite parte de pour revenir à 0. Supposons que depuis l’origine de l’ère chrétienne jusqu’à nos jours on eût tenu le registre exact des malheureux brûlés vifs en France pour cause d’hérésie, on verrait que chaque année et pour une population déterminée ce nombre a commencé par être nul ; peu à peu il s’est accru jusqu’à une certaine période du moyen âge, où pendant plusieurs années il est resté stationnaire ; peu à peu, il a diminué ; aujourd’hui, il est nul absolument. Que si, dans l’étude d’une série, on voulait tenir compte des variations de la limite, les questions deviendraient si compliquées qu’on devrait bientôt désespérer de les résoudre. Du