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Avoir montré que tout ce qui est participe à une même nature et se soumet aux mêmes lois, ce n’est pas avoir résolu le problème que nous nous sommes posé. Le monde ne nous apparaît encore que comme une collection d’éléments semblables, mais indépendants, qui demeurent en présence sans s’unir. Pour que ces éléments deviennent parties d’un tout et se groupent en un organisme unique, pour que l’univers devienne un individu, et que brille enfin dans les choses cette unité lumineuse, que poursuit notre désir, et sans laquelle l’esprit aveuglé s’égare, il faut que tous les termes de la série infinie des êtres se subordonnent les uns aux autres en se coordonnant à une seule fin. Ce qui fait que nous sommes non pas un composé anarchique d’êtres superposés, mais une activité dont les manifestations constituent un seul et même être, c’est la hiérarchie de nos facultés, c’est la docilité des organes à recueillir et à exécuter les ordres de l’esprit. Dans la nature comme en nous, ce qui vaut moins est la condition de ce qui vaut mieux ; ce qui est s’explique par ce qui n’est pas encore, mais sera, l’action présente par l’idée qui doit être réalisée, par la perfection qu’enfantera l’avenir. Ce qui est est la matière de ce qui sera, et ce qui sera, c’est le meilleur, c’est qui doit être. « La nature offre partout un progrès constant du simple au compliqué, de l’imperfection à la perfection, d’une vie faible et obscure à une vie de plus en plus énergique, de plus en plus intelligible et intelligente tout ensemble. » Que nous considérions la succession des êtres dans le temps ou leur coexistence dans l’espace, nous voyons toujours la même loi observée : l’inférieur prépare le supérieur et lui est sacrifié dès qu’il est apparu. Éprise de la beauté, la nature monte d’un continuel élan vers elle et de plus en plus s’en approche dans ses formes ; mais, artiste habile, elle ne recommence pas sans cesse son œuvre sur un nouveau plan, défaisant pour refaire, multipliant la mort autant que l’existence. C’est de la vie même qu’elle fait sortir la vie supérieure, c’est sur la réalité qu’elle fait fleurir l’idéal. L’univers est donc un être immense qui se soulève sans cesse vers une fin plus haute, qu’il a préparée par tous ses efforts antérieurs, prouvant à la fois et son immense désir du bien et sa merveilleuse industrie.

Ainsi les individus sont vraiment des microcosmes ; le grand monde n’est que ce qu’ils sont : une tendance s’exprimant par une activité, un vivant dont l’amour de la perfection est l’âme. La loi qui, à tous les degrés de l’existence, subordonne les causes efficientes aux causes finales, et la pluralité des éléments à l’unité de l’être, est aussi la loi d’ordre qui de tous les êtres comme d’autant d’éléments compose un être unique, le ϰοσμος, ordre supérieur, qui comprend