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IV


Mais la vie est une exception, elle apparaît tard dans le temps et n’occupe qu’une bien petite place dans l’espace : pour concilier la métaphysique et la science, pour mettre vraiment l’unité dans les choses, il faudrait établir que partout dans le domaine immense de la nature inanimée s’étend le règne de lois qui semblent d’abord avoir les mêmes limites que le petit monde de la vie et de la pensée. L’esprit n’est-il pas condamné à rester en présence de ces deux termes, sans pouvoir les concilier jamais ? La pierre lancée cent fois de suite dans la même direction, avec la même vitesse, n’est pas modifiée par cet acte dans sa puissance. Les corps n’étant pas susceptibles de contracter des habitudes, il faut bien avouer que les lumières de la conscience nous abandonnent où finit la vie, et qu’elles n’éclairent plus l’obscurité des abîmes sans fond de l’existence matérielle. À la Providence semble donc se substituer le destin, à la finalité le mécanisme aveugle. Les choses font échec à l’esprit et opposent à ses prétentions, qui n’ont de fondement que sa valeur morale, la brutalité de leur négation, l’argument sans réplique du nombre et de la puissance infinis.

Est-il donc démontré que le monde inorganique soit le champ de combat dé forces —aveugles luttant dans la nuit ? — D’abord il est impossible, comme l’a dit Aristote, si loin qu’on pousse l’analyse de saisir la matière pure, la puissance nue, qui pourrait être tout sans être rien et se confondrait par suite avec le néant. Leibniz, le grand péripatéticien moderne, l’a dit, « rien de stérile, rien de mort dans l’univers ; » l’inorganique n’existe pas. Tout suppose un concours d’éléments, un travail commun de forces diverses, s’accordant en une résultante déterminée. Si l’instinct de l’animal nous dorme des lumières sur l’activité de la plante, celle-ci nous éclaire sur le travail par lequel le minéral se constitue. D’où viennent les formes constantes que prennent les cristaux, et qu’ils tendent à reprendre quand on les brise ou les dissout ? Le concert harmonieux de mouvements par lequel se produit une plante n’est-il pas nécessaire pour que naisse cette fleur géométrique qu’on appelle un cristal ? Est-ce que la science ne reconnaît pas des combinaisons, formées suivant des lois fixes, pour rendre compte de la naissance des composés chimiques ? Est-ce qu’elle ne va pas jusqu’à retrouver dans ce monde de l’inorganique des espèces et des types analogues à ceux qui apparaissent dans le monde vivant ? L’atome lui-même, qui fuit devant