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conçu de l’acte voulu, l’acte voulu de l’acte accompli ; pour elle, la fin du mouvement est quelque chose qui doit être, qui peut être, qui n’est pas encore. L’habitude supprime les moyens termes : le désir n’est plus séparé par une série d’actes pénibles du but vers lequel il marche ; plus d’hésitation, plus d’attente ; il se confond avec son objet, il naît et se réalise en naissant. C’est ainsi que peu à peu la fin se confond avec le mouvement, et le mouvement avec la tendance. L’idée devient être, s’organise, prend corps, et en même temps disparaît de la conscience ; on pourrait la définir une idée substantielle, c’est-à-dire une idée vivante : ainsi, où la pensée semblait vaincue, elle triomphe ; et où le mécanisme aveugle paraissait tout conduire, c’est la finalité intelligente qui marque le but.

L’habitude est une force émanée de la force que nous sommes et qui n’en diffère point ; mais, si elle vient de la conscience et de la volonté, ne va-t-elle pas vers la spontanéité inconsciente ? Si elle part de l’esprit, n’est-ce pas pour s’en éloigner sans cesse et pour se rapprocher de plus en plus du mode d’action de la nature ? N’y a-t-il pas là comme une invitation à pénétrer les profondeurs de la vie instinctive à la lumière de la conscience ? L’instinct se définit : une tendance innée et fatale à accomplir certains actes non raisonnés, souvent compliqués, en vue d’une fin déterminée dont on n’a pas conscience. Pour que cette définition s’appliquât à l’habitude, il suffirait de marquer que cette tendance est acquise, et que sans arriver jamais à la précision infaillible, à la nécessité absolue, elle y tend sans cesse. Entre ces deux modes d’activité, il n’y a donc qu’une différence de degré, qui peut être réduite et amoindrie jusqu’à l’infini. Puisque nous créons en nous de véritables tendances instinctives, puisque nous assistons à leur naissance, nous pouvons comme prendre une conscience immédiate de la nature du plus humble des êtres vivants, et saisir par-delà ses mouvements extérieurs le désir secret dont ils sont l’expression, la pensée cachée avec laquelle ils se confondent. Ainsi se retrouve la parenté qui unit l’homme à l’animal, l’âme intelligente et réfléchie, dont la volonté va toujours au-devant d’un bien nouveau, à l’âme obscure pour elle-même, absorbée dans une pensée unique, dont l’exécution semble la constituer tout entière.

Mais ce n’est pas seulement le secret de la vie animale, c’est encore le mystère de la vie végétative que nous saisissons en nous-mêmes. Comme la plante, l’homme est un organisme, et les réactions réciproques de l’esprit et du corps attestent la commune nature de la vie et de la pensée. Comment expliquer que par l’habitude l’âme dissémine ses idées dans les organes et les fasse ainsi parti-