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beaux ; mais il y a différentes catégories de bonté, comme il y a des catégories de beauté. »

On peut dire qu’à chaque époque, à chaque nation, à chaque classe de la société, correspond une vertu fondamentale (rudimentary virtue), germe de toutes celles qui constituent le type, et qui, par l’importance qu’elle revêt aux yeux de tous, ne peut faire défaut chez l’individu, sans qu’il paraisse entièrement dénué de toute culture morale. Ainsi, dans les grandes républiques de l’antiquité, la vertu fondamentale était le patriotisme ; car tout concourait tellement à le développer, qu’il semblait à la fois le plus évident et le plus essentiel des devoirs. De nos jours, un homme peut être complètement indifférent aux intérêts de sa nation, et posséder néanmoins beaucoup de vertus privées. — Dans la période monastique, c’est l’obéissance, ou l’humilité qui est la vertu fondamentale ; aujourd’hui, rien n’est plus fréquent que de voir un honnête homme à qui ces qualités manquent, parce que ses énergies morales se sont développées dans une autre direction. — Dans les sociétés industrielles, la probité, nous l’avons vu, occupe une place analogue. Les vertus fondamentales varient d’âge en âge, et l’historien des idées morales n’a pas d’objet plus important que de découvrir celle qui est propre à chacun, puisqu’elle détermine, dans une large mesure, la place assignée aux autres vertus.

Il suit de ce qui précède qu’on se tromperait gravement en proposant un caractère unique, si admirable soit-il, comme un modèle absolu auquel tous les hommes doivent nécessairement se conformer. Un seul caractère ne peut embrasser tous les types de perfection ; car, encore une fois, la perfection d’un type ne dépend pas seulement des vertus qui le constituent, mais du rang attribué à chacune d’elles. Tout ce qu’on doit demander à un idéal, c’est qu’il soit parfait dans son genre, qu’il soit en conformité aussi complète que possible avec le type qui convient le mieux à l’époque, et avec les intérêts du genre humain. Le type chrétien est la glorification des vertus douces et charitables, le type stoïcien, celle des vertus héroïques, et voilà pourquoi le premier est plus civilisateur que le second ; car plus la société est organisée et civilisée, plus, selon M. Lecky, grandit l’importance des vertus douces, et diminue celle des vertus héroïques.

Le caractère moral de chaque individu dépend en partie de ses dispositions innées, en partie des circonstances extérieures, et par là il faut entendre surtout le milieu social. Chaque société produit chez ceux qui naissent dans son sein certaines qualités conformes au type général qu’elle représente. Placez dans une société guerrière