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Ainsi, il y a tendance générale à réprimer l’appétit inférieur : d’une époque à l’autre ont pu varier les prescriptions particulières ; l’énergie dans la lutte a pu être fort inégale selon les temps et les pays ; mais le progrès dans une même direction est manifeste. « Si, relativement à l’adultère et à la production des enfants, les questions d’intérêt et d’utilité interviennent sans aucun doute, nous avons conscience que le progrès général dépend d’un ordre d’idées totalement différent. Le sentiment de tous les hommes et le langage de tous les peuples, — ce sentiment qui, souvent affaibli, jamais entièrement effacé, nous révèle que, même dans ses satisfactions les plus légitimes, cet appétit est chose qu’il faut dissimuler aux regards ; enfin, ce qui est connu partout sous les noms de décence et d’indécence, — tout cela concourt à prouver que nous avons la perception innée, intuitive, instinctive, qu’il y a quelque chose de dégradant dans la partie sensuelle de notre nature… quelque chose qui jure avec notre conception de la pureté parfaite, et que nous ne pourrions sans contradiction attribuer à un être absolument saint. Une telle conception n’a jamais fait complètement défaut à personne, et il faut tout l’aveuglement de l’esprit de système pour essayer de la ramener à un simple calcul d’intérêt. C’est ce sentiment ou cet instinct qui est à l’origine de tout le mouvement que j’ai décrit, et c’est lui également qui a produit ce sens de la sainteté ou de la parfaite continence, que l’Eglise catholique a si chaudement encouragé, mais que l’on peut retrouver aux époques les plus reculées et à travers les croyances les plus différentes. » — Les exemples abondent en effet sous la plume de l’historien, et la plupart sont trop connus pour qu’il soit nécessaire de les rapporter ici.

Ces considérations suffisent pour montrer le peu de solidité des objections qui, depuis Locke, ont été dirigées contre la doctrine de l’innéité des perceptions morales, sur ce fondement que certaines actions, permises à une époque, ont été regardées plus tard comme immorales. La vertu a toujours consisté dans la culture des mêmes sentiments : mais l’idéal de perfection a beaucoup varié. En un sens, les distinctions morales sont absolues et immuables ; en un autre sens, elles sont relatives et transitoires. L’homme a toujours distingué en lui-même une partie inférieure et une partie supérieure, des instincts nobles et des instincts bas ; quant aux actes qui doivent être appelés bons ou mauvais, les opinions diffèrent profondément selon les temps et les pays. Il est permis de croire que le bien et le mal se mesurent au degré d’élévation morale auquel la société est parvenue. « Celui qui tombe au-dessous d’un tel niveau est réputé méchant ou vicieux ; celui qui l’atteint sans le dépasser, peut avoir