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fortuits un élément constant que la raison peut apprécier et qui peut servir de point de départ à des inférences parfaitement rigoureuses. Le titre « la Logique du hasard » est donc irréprochable de tout point, puisqu’il exprime l’idée maîtresse de l’ouvrage, celle qui lui donne à la fois sa force et son unité. Essayons à notre tour d’analyser cette idée ; et, pour échapper à l’obscurité des discussions et des formules abstraites, attachons-nous à un exemple bien simple et bien connu.

Je suppose qu’on jette en l’air un penny et qu’on me demande s’il tournera pile ou face. Si je connaissais exactement la forme et la structure de la pièce, la grandeur et la direction de toutes les forces qui vont lui être appliquées ; si de plus j’étais assez habile pour combiner tous ces éléments dans un raisonnement mathématique convenable, je prédirais le résultat, comme je prédis maintenant que le 12 août prochain, à neuf heures trente-deux minutes du soir, il y aura une éclipse partielle de lune visible à Paris. Mais, dans l’état d’ignorance où je me trouve, le mieux est sans doute de répondre que je n’en sais rien. Cette réponse est la seule convenable au point de vue de la logique commune ; mais, au point de vue de la logique du hasard, on peut répondre autrement, et voici comme je procéderai.

Sans aucune discussion, sans aucun principe a priori, je m’adresse à l’expérience. Je jette en l’air un penny cent fois de suite, et chaque fois je note le résultat. Je forme de la sorte une table que j’examine ensuite. Les piles elles faces se succèdent fort irrégulièrement ; mais, si je compte le nombre des faces, je trouve 48, qui est à peu près la moitié de 100. Je répète la même expérience, qui conduit toujours à la même observation, et j’infère par induction que, dans le jeu de pile ou face, le nombre des coups qui donnent face est à peu près égal à la moitié du nombre des coups que l’on a joués.

Je reviens maintenant à la question posée. Je ne puis dire si le coup que l’on va jouer amènera pile ou face ; mais je dis que, si l’on joue plusieurs coups, face tournera à peu près autant de fois que pile, et ces deux réponses sont aussi solides l’une que l’autre.

La petite découverte que je viens de faire n’est sans intérêt ni au point de vue spéculatif, ni au point de vue pratique. Je suis en présence d’une série d’événements amenés chacun par une combinaison de causes. Je puis affirmer sans crainte qu’une combinaison quelconque ne se répète jamais deux fois identiquement la même, et pourtant ces combinaisons toutes différentes les unes des autres s’arrangent de manière que les événements d’une espèce soient toujours à peu près en même nombre que les événements de l’espèce opposée. C’est un fait curieux, dont il faut chercher l’explica-