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À mesure que la science élargit ses conceptions et s’élève à des lois plus générales, elle comprend mieux qu’il lui est impossible de se désintéresser du problème religieux. Il y a cinquante ans, les savants mettaient une sorte de point d’honneur à l’ignorer ; il n’en est plus de même aujourd’hui, et l’on ne peut que se réjouir de voir les plus scrupuleux adeptes des méthodes expérimentales pénétrer avec une curiosité inquiète, une ardeur parfois téméraire, dans les régions de la théodicée. Ils sentent bien que la question de Dieu est le terme suprême auquel toute science humaine aboutit.

M. Flint détermine ensuite la nature, les conditions et les limites de ce qu’il appelle la preuve théistique (theistic proof). Par sa nature, elle n’est autre chose que l’ensemble des manifestations de Dieu, soit dans le monde extérieur, soit dans l’âme de chacun de nous, soit dans l’histoire de l’humanité. Par suite, les preuves de l’existence de Dieu sont innombrables, car tout phénomène, quel qu’il soit, en est une ; d’autre part, la preuve n’est complète que si l’on considère chaque phénomène dans son rapport avec le tout. « Une vue véritablement religieuse de l’univers doit être une vue large et compréhensive de l’univers entier ; elle exige un regard qui embrasse le tout, et non simplement une partie, — les facultés qui saisissent l’harmonie et l’unité, et non exclusivement celles qui analysent et séparent. Une partie, un point, l’œil d’un insecte, la graine d’un fruit, peuvent être l’objet d’une contemplation religieuse, mais il faut les voir à la lumière de l’univers pris dans son ensemble, à la lumière de l’éternité et de l’infinité. »

De même, la preuve théistique implique la totalité de l’âme humaine, le concours simultané de toutes les facultés essentielles. Elle suppose la volonté, car elle se fonde sur le principe de causalité, et c’est dans la conscience de notre activité libre que nous trouvons pour la première fois la notion de cause. Mais Dieu n’est pas seulement cause ; il est intelligence ; la conscience directe de nos opérations intellectuelles peut seule nous donner l’idée d’une intelligence suprême. Ce n’est pas tout. Si nous n’avions pas la perception de la moralité de nos actes, nous serions éternellement incapables de concevoir la cause première, souverainement intelligente, comme un Dieu juste et bon. Enfin, sans les intuitions rationnelles de l’infini, du parfait, de l’absolu, nous ne pourrions rien savoir des attributs métaphysiques de Dieu. Ni la contemplation du monde imparfait et fini, ni celle de nous-mêmes, finis, imparfaits comme lui, ne nous révéleraient la perfection, l’infinité de l’auteur de toutes choses. — Volonté, entendement, sens moral, raison, doivent donc avoir atteint un développement suffisant pour que la preuve soit possible. Partout où la volonté languissante subit passivement le joug des fatalités extérieures, comme dans l’Indoustan, partout où chez l’homme le déchaînement de la bête empêche la nature spirituelle et morale de se déployer, comme chez les races sauvages, la notion de Dieu est nécessairement incomplète et grossière. Une sorte d’anthropomorphisme inconscient est ainsi le fonds de toutes les reli-