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analyses. — gizycki. Philosopische Consequenzen, etc.

liberté. Cette apparence n’est pas moindre dans les actions de l’animal et dans les actes moralement indifférents que dans les actes moraux. Puisqu’on s’accorde à reconnaître la nécessité des premiers, de quel droit fait-on une exception en faveur des seconds ? Dans les deux cas, l’apparence de liberté n’est, comme le disait Schopenhauer avec Spinoza, que l’ignorance des causes déterminantes. Cette illusion est entretenue en nous par l’expérience que nous faisons de la diversité des actions d’un même homme à des moments différents : c’est qu’en effet l’homme se distingue du reste des êtres en ce qu’il est un sujet capable de se déterminer par lui-même (sich selbst bestimmender Subject). Donc, dira-t-on, il y a un point où nous ne sommes pas déterminés, mais où nous nous déterminons nous-mêmes. — Assurément, répond M. Gizycki : mais cette réaction contre les influences extérieures, que nous constatons à un plus faible degré chez les animaux, sort des profondeurs de l’individualité, qui est le dernier fonds (letzte Ankergrund) de toutes les actions particulières, aliquid quod a se ad agendum determinatur. Il y a donc toujours une raison profonde des actions en apparence libres, la manière d’être et de penser de l’individu à l’encontre des excitations extérieures ou intérieures du moment.

Ainsi posée, la querelle entre les déterministes tels que M. Gizycki et les psychologues défenseurs du libre arbitre humain nous paraît n’être plus qu’une question de degré, mais capitale. L’état de liberté n’est pour les uns et les autres que l’état de raison et de réflexion. Seulement M. Gizycki a le tort de trop rapprocher l’activité réfléchie de l’homme et l’activité spontanée de l’animal ; partout il est forcé de s’arrêter à mi-chemin dans cette affirmation de l’autonomie humaine démontrée par la conscience et par les faits. Il ne prononce même pas .le mot de « personnalité », qui seul exprime le caractère suprême de notre indépendance : comme si l’homme n’était qu’une individualité de même espèce que l’animal. La nature, dirons-nous, en prenant conscience d’elle-même dans le cerveau de l’homme, affranchit l’homme et s’affranchit elle-même ; alors l’homme crée à son tour l’idéal moral, qu’il se sent obligé, non contraint, de suivre, et qui lui inspire avec le regret du mal accompli le désir du mieux : M. Gizycki le reconnaît plus loin. L’autonomie de la volonté n’est donc point l’indifférence de la volonté, ni son asservissement à quelque chose d’étranger, mais la volonté d’être soi comme fin morale absolue.

La doctrine de la liberté nouménale sauverait tout, si elle pouvait se sauver elle-même. Au-dessus du caractère empirique de l’individu, dont une connaissance précise permettrait de prévoir les manifestations à venir « aussi rigoureusement qu’on prédit une éclipse de lune ou de soleil », Kant, à qui ces paroles sont empruntées, admettait « un caractère intelligible » de l’ordre des choses en soi, un noumène absolument libre. « Est-il possible, demande avec raison M. Zeller, qu’une seule et même action, un seul et même acte de volonté soit dépendant comme phénomène de ses antécédents, et par sa base suprasensible