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compayré. — la psychologie de lamarck

par un besoin provenant d’une sensation, soit par un désir qu’excite un souvenir. Par un singulier entrecroisement d’action et de réaction, par un véritable cercle vicieux, le sentiment intérieur n’éprouve d’émotion morale qu’à la suite d’une pensée, et la pensée elle-même n’est possible que si le sentiment intérieur produit cet effet qui est l’attention.

Il est inutile d’insister sur les observations que suggère à Lamarck l’étude des autres facultés de l’intelligence. En homme qui n’a guère considéré que le côté objectif de la nature humaine, il s’aventure sans succès sur un terrain qui n’est pas le sien, et l’on est tout étonné, par exemple, de le voir distinguer le jugement de la pensée. Il ne faut pas oublier que Lamarck est un théoricien de la nature humaine plutôt qu’un observateur psychologue. Il a laissé à ses successeurs le soin de développer le côté subjectif, conscient de la psychologie évolutionniste. Les faits, surtout les faits de la conscience, manquent à son système. L’auteur n’est préoccupé que de déduire de ses principes toutes les conséquences qu’ils contiennent, même les plus extraordinaires, par exemple la transformation prochaine, ou tout au moins possible dans l’avenir, de la nature humaine actuelle. Ce rêve, caressé par quelques esprits de notre temps, ne répugne pas à Lamarck : il ne saurait répugner à aucun partisan de l’évolution. Si en. effet l’homme n’est devenu ce qu’il est que par des modifications insensibles et une série de changements, pourquoi ce mouvement de progrès serait-il enrayé à tout jamais ? pourquoi la nature ne reprendrait-elle pas un jour ou l’autre sa marche en avant ? « Il faut à mon avis un peu de témérité, dit Lamarck, pour déterminer les bornes des conceptions auxquelles l’intelligence humaine peut atteindre, ainsi que les. limites et la mesure de cette intelligence. »

IV


Il serait injuste d’augurer de l’avenir de la psychologie évolutionniste, et même de son présent, à l’heure où nous sommes, d’après l’esquisse un peu informe que nous devons à Lamarck. Qu’on lise les Principes de psychologie de M. Herbert Spencer, et on jugera des progrès accomplis. Il n’en faut pas moins reconnaître l’originalité et l’importance de la tentative de Lamarck. Il a le mérite d’avoir le premier mis nettement en relief quelques-uns des principes essentiels de la nouvelle école : l’idée qu’une faculté ne se manifeste que quand un organe correspondant existe ; la loi de l’hérédité qui fait que les habitudes acquises par une génération deviennent les penchants