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paulhan. — la théorie de l'inconnaissable

Pour les corrélatifs, tels que l’égal et l’inégal, il est évident que le concept négatif contient quelque chose de plus que la négation du positif ; en effet, des choses dont on nie l’égalité ne sont pas pour cela effacées de la conscience. Sir W. Hamilton n’a pas vu qu’il en est de même pour les corrélatifs dont la négation est inconcevable au vrai sens du mot. Prenons, par exemple, le limité et l’illimité. Notre notion du limité se compose premièrement d’une conception d’une certaine espèce d’être et secondement de limites sous lesquelles elle est connue. Dans son antithèse, la notion de l’illimité, la conception des limites est abolie, mais non celle d’une certaine espèce d’être. Il est tout à fait vrai que, en l’absence de limites conçues, cette conception cesse d’être un concept proprement dit, mais elle n’en reste pas moins un mode de conscience. Si, dans ce cas, le contradictoire négatif n’était, comme on dit, rien de plus qu’une négation de l’autre, et par conséquent une pure non-entité, il devrait en résulter qu’on pourrait employer les contradictoires négatifs indifféremment l’un pour l’autre. On devrait pouvoir penser l’illimité comme antithèse du divisible et l’indivisible comme antithèse du limité. Au contraire, l’impossibilité de faire de ces termes un tel usage prouve que dans la conscience l’illimité et l’indivisible sont distincts de qualité, et par conséquent qu’ils sont positifs et réels, puisqu’il ne peut exister de distinction entre deux riens…

« Cette vérité devient encore plus manifeste quand on observe que notre conception du relatif disparaît dès que notre conception de l’absolu n’est plus qu’une pure négation. Les auteurs que j’ai déjà cités admettent ou plutôt soutiennent que les contradictoires ne peuvent être connus qu’en relation l’un avec l’autre ; que l’égalité, par exemple, est inconcevable, séparée de son corrélatif, l’inégalité, et qu’ainsi le relatif même ne peut être conçu que par opposition au non-relatif… Que devient alors l’affirmation que « l’absolu n’est conçu que comme une pure négation de la concevabilité » ou comme « l’absence des conditions sous lesquelles la conscience est possible » ? Si le non-relatif ou absolu n’est présent à la pensée qu’à titre de négation pure, la relation entre lui et le relatif devient inintelligible, parce qu’un des termes de la relation est absent de la conscience. Si la relation est inintelligible, le relatif lui-même est inintelligible faute de son antithèse, d’où résulte l’évanouissement de toute pensée. »

J’avoue que je ne trouve pas inattaquables les arguments de M. Spencer, et, en analysant précisément la conception de l’antithèse du relatif et de l’absolu, j’arrive à des conclusions tout à fait opposées à celles du philosophe anglais.