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grote. — classification nouvelle des sentiments

personne à propos de la conscience de quelque force qui nous appartient, ce qui fait que c’est un sentiment double, autrement dit un agrégat, formé de l’association de deux émotions simples. Maintenant, il ne sera pas difficile de prouver que toutes les autres émotions égoïstes ont pour fondement cette estime de soi-même, pourvu qu’elle devienne un état chronique de la conscience.

Les sentiments de l’amour-propre, en tant qu’ils peuvent être envisagés comme des espèces particulières de plaisir et de peine, doivent présenter naturellement les mêmes aspects principaux que tous les autres modes de la sensibilité. L’ambition, dans toutes ses modifications, est une peine négative, car elle indique un besoin non satisfait d’approbation et de gloire. Le contentement de soi-même (self-complacency, self-gratulation) est un plaisir positif, comme le dit Bain[1]. La honte, l’humiliation, le sentiment d’abaissement, sont des peines positives. Le sentiment de l’honneur rétabli, de la réputation rétablie, est un plaisir négatif.

Or, tous ces sentiments ont pour base l’estime que nous avons de nous-mêmes, et plus cette estime est grande, plus ces passions sont fortes. La principale cause de ce rapport consiste dans le fait qu’en nous estimant nous-mêmes, nous exigeons le même sentiment pour nous de la part des personnes qui nous entourent, et c’est l’harmonie plus ou moins grande de ces sentiments d’autrui et de nous-mêmes, dont notre moi est l’objet, qui fait naître toutes les passions égoïstes.

Quand le besoin que nous avons de l’estime des autres n’est pas satisfait ou ne l’est pas assez, nous souffrons de cette peine de l’ambition, qui présente une analogie marquée avec la douleur de l’inaction ou avec celle de l’ennui. Toutes les fois que l’estime des autres pour nos actions sera d’accord avec l’idée que nous nous faisons de notre valeur, nous éprouverons le plaisir du contentement de nous-mêmes. Dès que l’estime que nous avons pour notre personne est blessée par un manque d’estime de la part d’autrui, nous éprouverons cette peine qu’on nomme honte, si elle n’est pas trop grande, humiliation, si elle ne présente aucune chance de réhabilitation quelconque (analogie entre l’humiliation et le désespoir). Enfin quand cet état pénible de honte ou d’humiliation vient à disparaître à la suite de quelque changement subit dans les sentiments des autres personnes à notre égard, nous éprouvons ce plaisir que procure la conscience de l’honneur rétabli. Il est donc clair qu’il y a des sentiments qui sont fondés sur le mélange de plusieurs émotions simples. Mais pour le prouver davantage citons

  1. The Emot. and the will, 3e éd., p. 206.