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ne connaissons pas encore le genre de danger qui nous menace et que nous appréhendons ; la superstition est cette peur enfin qui naît d’une cause imaginaire et qui est fondée sur de fausses conceptions de la réalité. L’envie est une modification analogue de la haine, car c’est une espèce d’animosité qui provient d’un jugement, vrai ou faux, sur une supériorité ou un avantage qui appartient à un autre et nous manque à nous-mêmes, etc. Il n’y a pas à dire que toutes ces transformations des sentiments sont fondées sur tous les modes variés de l’association que nous connaissons.

Nous n’avons eu affaire jusqu’ici qu’à des modifications de la sensibilité qui ne touchaient en rien l’élément émotionnel lui-même. Celui-ci restait intact et ce n’était que l’appareil qui changeait toutes les fois d’aspect. Il ne pouvait être question de nouveaux genres de sentiments, il ne s’agissait que de nouvelles espèces dans les limites, des genres que nous connaissions déjà. Mais la position change à présent que nous passons à l’examen des associations entre les émotions primitives elles-mêmes. Celles-ci peuvent avoir pour effet une régénération parfaite des sentiments simples, et c’est ainsi que naissent ces émotions complexes que beaucoup de psychologues sont disposés à prendre pour des émotions primitives, tellement elles paraissent être peu réductibles aux autres. Il n’y a qu’à nommer, par exemple, les « emotions of self » de Bain. Comme les émotions de l’amour propre présentent un des meilleurs exemples de la combinaison de plusieurs émotions, c’est par leur analyse que nous croyons pouvoir étudier le mieux ce nouveau mode de complication de la sensibilité. Mais avant de passer à cette analyse, faisons une remarque qui pourra nous être utile plus tard. Le mélange de plusieurs sentiments ne peut s’effectuer qu’après l’évolution intellectuelle dont nous venons de parler, car il ne peut être solide qu’à la condition d’une conscience claire de l’unité des causes objectives auxquelles plusieurs émotions simples se rapportent, non-seulement dans le temps présent, mais encore dans le passé et dans l’avenir. Il faut des idées constantes sur les rapports des choses, pour que les mêmes agrégats de sentiments puissent se répéter et devenir des états habituels de la conscience. Voilà d’où vient l’ordre que nous avons admis dans l’analyse des différentes associations dont les émotions primitives sont susceptibles.

Quoiqu’il y ait des psychologues qui ont compris, avant nous, que le sentiment de l’amour-propre n’est pas un sentiment fondamental, kein Grundgefühl, comme s’exprime Horwicz[1] nous n’avons pas eu l’occasion cependant de rencontrer l’idée qu’on peut déduire

  1. Psychol. Anahysen, II, 2. Magdeb., 1878, p. 263.