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volonté n’est cependant pas libre. La liberté n’est qu’une apparence. « Quoiqu’il paraisse beaucoup plus libre que les animaux dans ses actes de volonté, l’homme ne l’est effectivement pas. » Seulement il peut varier ses actions ; les hommes agissent très-différemment les uns des autres, et voilà pourquoi ils s’imaginent être libres. Pourquoi la volonté n’est-elle pas libre ? C’est qu’elle dépend toujours d’un jugement, et le jugement est « comme le quotient d’une opération arithmétique, un résultat nécessaire de l’ensemble des éléments qui l’ont formé. » Pourquoi la volonté n’est-elle pas uniforme comme l’instinct ? C’est que les pensées qui la précèdent sont modifiées à l’infini par une multitude de causes, la santé, l’âge, le sexe, les habitudes, les penchants, l’état de nos lumières. La liberté n’est qu’une illusion, due à la variété de nos déterminations.

Nous avons fait connaître l’importance du rôle assigné par Lamarck au sentiment intérieur, véritable foyer de la puissance productrice des mouvements et des actes. Pour justifier de pareilles attributions, Lamarck est vraiment pauvre d’arguments. Nous touchons ici le point délicat de tout système évolutionniste. Comment une force physique se transforme-t-elle en force morale, capable de réagir et de lutter contre les forces physiques ? Comment s’opère dans la force initiale ce dédoublement mystérieux qui fait apparaître le sujet en face de l’objet, la conscience en face de l’inconscient ? À ces redoutables questions, Lamarck ne fait que des réponses vagues. Ce n’est pas qu’il soit embarrassé. Avec cette liberté d’affirmation dont il abuse, il raconte sans hésitation l’odyssée de la force. À l’origine, chez les animaux les plus imparfaits, le mouvement naît d’une force extérieure, calorique ou électricité. Mais plus tard la nature, ayant multiplié les organes et perfectionné les facultés, a emprunté au milieu environnant la force productrice, pour la transporter dans l’animal ; enfin par un nouvel effort, chez les animaux supérieurs, elle a mis cette force à leur disposition, et elle leur a donné le pouvoir d’en user volontairement. « Ainsi la force qui excite les mouvements organiques peut dans les animaux les plus imparfaits se trouver hors d’eux et cependant les animer. Mais ensuite cette force a été transportée et fixée dans l’animal même[1]. » Par quel étrange prodige s’est fait ce passage, et comment une force extérieure, universelle, est-elle devenue une force intérieure, personnelle ? C’est un mystère qui n’est pas éclairci.

Il ne nous reste plus qu’à faire connaître comment, par des causes uniquement physiques, « par de simples relations entre diverses

  1. Discours préliminaire, tome i, p. 28.