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grote. — classification nouvelle des sentiments

2° Quant au rapport primitif des fonctions respiratoires (et des sensations d’odorat qui s’y rattachent) avec la peur, nous croyons pouvoir l’appuyer par les faits suivants :

a. La crainte dans un être qui n’a ni souvenirs ni expériences capables de régler ses actions, ne peut avoir pour objet ni les autres êtres, ni les phénomènes de la nature qui nous environnent, car pour les craindre il faut connaître le danger qui nous menace de leur part (preuve : les oiseaux des îles inhabitées, dont parle Darwin, et qui ne craignent pas l’homme, ne l’ayant jamais vu). S’il y a des craintes instinctives, ces dernières ont dû également avoir été développées par de longues expériences, et transmises par l’hérédité. Dans un être qui n’a ni sa propre expérience ni celle de ses ancêtres, la peur ne peut naître qu’au sujet de certaines sensations organiques internes ; reste à savoir lesquelles. Les malaises ordinaires des organes de la nutrition, du sexe, des organes des sens, du mouvement, de la conscience, ont leur caractère propre et ne donnent pas sujet à la peur, quand ils se font ressentir pour la première fois et que nous ne pouvons pas prévoir le danger qui suit. Ce n’est que le malaise des organes de respiration, quelque léger qu’il soit, qui se traduit toujours par la peur. Il n’y a qu’à fermer la bouche et le nez d’un animal, pour le mettre dans un état d’angoisse inexprimable, tandis que l’arrêt de toutes les autres fonctions ne produit jamais cette impression pénible.

b. L’odorat qui règle les fonctions respiratoires est en même temps le conducteur de la crainte par excellence. C’est par l’odorat que les animaux apprennent le plus souvent à connaître l’approche de leurs ennemis les plus redoutés, et on pourrait supposer qu’un tel rôle n’est propre à cet ordre de sensations, que parce qu’elles servaient dès l’origine à la conservation personnelle, quoique par un mode différent.

c. Les dangers qui menacent avant tout les fonctions respiratoires sont les plus redoutés de l’homme (le feu, l’eau). C’est que rien ne peut apporter un tort plus sérieux et plus immédiat à l’organisme, que l’arrêt de la respiration. On peut lutter contre tout autre danger ; celui-là reste sans remède.

d. Les poitrinaires sont, comme on sait, les gens les plus peureux et les plus soupçonneux (le soupçon n’est qu’une espèce de peur).

e. C’est aux fonctions respiratoires que s’associe dans notre imagination la peur dont nous sommes capables dans l’état de sommeil. Les cauchemars les plus terribles sont accompagnés d’un sentiment d’étouffement : leur raison directe est quelque désaccord passager ou chronique dans les processus de respiration.