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qui joue un rôle très-marqué dans la conquête de la nourriture, dans la lutte de l’organisme pour l’existence de tous les jours. La peur, enfin, exerce la plus grande influence, quand il s’agit de l’harmonie des processus respiratoires ; guidée par les indications de l’odorat, elle nous fait fuir les endroits qui peuvent nuire à cette harmonie. Mais il ne s’agit pas d’indiquer quelque lien accidentel et passager entre ces fonctions et ces émotions. Nous voudrions démontrer que leur rapport est tout aussi général et primitif que celui qui existe entre les fonctions animales et les émotions qui leur correspondent. Nous pensons que toutes les émotions irascibles devaient servir au début comme moyens régulateurs de la nutrition, de même que la peur avait le but primitif de servir à la conservation personnelle, par le moyen du contrôle exercé sur les fonctions respiratoires. Nous croyons pouvoir soutenir cette double hypothèse par les considérations suivantes :

1° L’existence des rapports entre les processus nutritifs et les émotions irascibles, pourrait, croyons-nous, être établie sur les faits suivants :

a. La colère dans l’état des êtres inférieurs a pour suite immédiate le combat, qui finit ordinairement par l’anéantissement du plus faible. Or, le combat, la lutte de deux êtres ne peut avoir d’autre signification dans l’existence primitive que celle d’un moyen de se procurer la nourriture.

b. La faim est le premier stimulant de la colère et de la haine : les animaux et les gens affamés sont tellement disposés à ces sentiments qu’il ne faut qu’un léger motif pour les réveiller en eux. Il y a des cas où ils naissent, dans cette condition, presque sans causes apparentes, et nous ne serions pas éloignés de croire que l’étrange acharnement des prolétaires dans le carnage qui suit les révolutions sociales, trouverait ainsi son explication la plus plausible.

c. Le degré d’inclination pour la colère et la haine dépend du caractère de la nourriture que prennent les organismes (animaux carnassiers, animaux domestiques, comme deux genres opposés, dans la série des animaux, autant par leurs caractères psychiques, que par l’espèce de nourriture qui leur suffit).

d. L’expression de la colère reste, dans les êtres les plus développés et les plus intelligents, égale à l’expression que prend l’assaillant dans la lutte funeste pour l’existence. Le grincement des dents et la sécrétion de la salive n’indiquent peut-être pas autant le désir primitif de mordre l’adversaire que celui de le manger.

e. Enfin les organes du système alimentaire sont plus affectés dans la colère que tous les autres organes (la bile).