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de force ne donne pas lieu au même plaisir intense que quand elle en est précédée, etc.

Après avoir donné ces quelques suppléments nécessaires à la théorie de M. L. Dumont, nous passerons à présent à la question intéressante de savoir comment ces lois élémentaires pourraient servir de base à la classification générale et détaillée des sentiments.


II


La classification de M. Dumont, comme nous l’avons dit, est loin d’être satisfaisante. L’erreur qu’il a commise, en déterminant les caractères différents des peines, le conduit à d’autres erreurs encore. Il regarde, par exemple, la fatigue comme une peine positive, l’épuisement comme une peine négative, et cependant il est facile de voir que ces états ne sont que deux aspects différents (l’aspect psychologique et l’aspect physiologique) du même phénomène, ou, tout au plus, les différents degrés d’un même état de souffrance positive. Puis, en se refusant de reconnaître dans certaines peines le résultat de l’inaction, M. Dumont est obligé d’affirmer (contre toute évidence) que la faim, qui est le sentiment d’inaction douloureuse dans la sphère des organes nutritifs, n’est pas toujours une peine, qu’elle peut aussi bien être un état d’indifférence, au point de vue subjectif, — un désir qui n’a rien de pénible, comme il s’exprime, ou même un état de plaisir, un désir agréable[1], ce qui ne nous paraît pas être juste, car, aussi faible que soit le malaise, — la faim le suppose toujours. S’il nous semble quelquefois que la faim n’est pas pénible, cela dépend de ce que nous prenons bien souvent l’attente qui précède un repas, arrivant à l’heure fixe, pour la faim, tandis que ce sentiment d’attente appartient à une autre sphère de sensibilité, à savoir la sphère des αἰσθήσεις. Du reste, M. Dumont se contredit lui-même et confirme notre théorie, en disant que les douleurs de la faim et d’autres peines négatives, comme l’ennui, la tristesse, doivent être rapportées au manque de réaction[2]. Si nous comprenons bien l’idée de l’auteur, l’expression « manque de réaction » signifie « l’inaction forcée » dans la sphère de certains organes isolés.

Outre ces quelques contradictions et malentendus, il y a manque d’achèvement qui constitue un autre défaut sérieux de la classification de L. Dumont. Son analyse ne touche qu’à un très-petit

  1. Loc. cit., p. 137.
  2. Loc. cit., 138 ; comp. p. 143.