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des perceptions précédentes, ce sera toujours la première série qui se reproduira seule, comme celle de la direction verticale du mouvement : c’est-à-dire qu’il y a toutes les conditions requises pour la production d’une illusion fixe. Il en est de même pour la remarquable illusion découverte par Recklinghausen et qu’on peut déduire directement, comme Helmholtz l’a démontré le premier, de la loi de rotation de l’œil de Listing. On se trouve même ici en présence d’une illusion qui, en vertu des conditions particulières de l’expérience, ne devient discernable que par l’immobilisation. Ici encore, l’analyse (je l’ai donnée dans ma Physiologie[1], et, si je ne la recommence pas ici, c’est qu’elle ne va pas sans une discussion approfondie des lois du mouvement de l’œil), l’analyse, dis-je, démontre que l’ordre des signes locaux déterminé pendant ly durée du mouvement reste forcément le même pour l’œil au repos et pour l’œil qui se meut, et que cet ordre ne peut jamais changer par la reproduction de précédentes impressions.

Il n’y a donc pas moyen d’expliquer la différence essentielle de ces deux classes d’illusions de l’œil, illusions inconstantes, illusions fixes, qui ont pourtant les unes et les autres leur source commune dans les lois du mouvement de l’œil, à moins d’admettre qu’il existe dans la rétine même un système de signes locaux insuffisant en soi pour susciter la notion extensive, mais suffisant pour fixer par rapport aux perceptions futures les mesures une fois acquises du champ visuel.

Que s’il nous est à présent permis de considérer l’hypothèse des signes locaux complexes comme celle qui rend le plus immédiatement compte des phénomènes et qui, seule entre toutes celles qu’on a proposées jusqu’ici, ne se met point en contradiction avec l’expérience, une autre question se présente aussitôt d’elle-même : Y a-t-il un moyen quelconque de s’expliquer que d’une réunion de divers éléments de sensations, sorte une notion qui n’est contenue dans aucun de ces éléments tant qu’il reste isolé ? Nous ne pouvons pas nous arrêter à l’objection qui consiste à dire que ce qui est contenu dans la réunion des éléments doit nécessairement apparaître déjà dans un quelconque de ces éléments. Cela est-il ou n’est-il pas réellement le cas ? Ce n’est pas à un verdict à priori, mais à l’expérience, de décider là-dessus. Or l’expérience nous enseigne : 1o que les notions extensives n’apparaissent jamais qu’où il y a eu commune action des sensations et des mouvements ; 2o que spécialement pour l’œil toute tentative pour attribuer à un seul de ces éléments une propriété extensive est en contradiction avec l’expérience. On nous oppose une comparaison : il est, dit-on, impossible, si l’on n’a que des zéros, d’en

  1. Lehrbuch der Physiologie, 4e  Auflage, p. 677, 691.