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compayré. — la psychologie de lamarck

tombe pas sous les sens, il est invisible : le serait-il au point d’être immatériel comme l’âme ?

III

Étant donnés les éléments que nous venons d’indiquer, un système nerveux progressivement organisé, un fluide nerveux continuellement sécrété, comment se produisent les trois catégories de faits moraux que distingue Lamarck : la sensation, le sentiment intérieur, la pensée ? Par des mouvements de plus en plus compliqués, « toute action étant le produit d’un mouvement quelconque. »

Supposez une impression extérieure affectant l’extrémité d’un nerf : à raison de l’unité du système nerveux, l’ébranlement subit donne lieu à une réaction, à une répercussion générale du fluide nerveux. Cette réaction, rapportée de toutes parts au foyer commun, y occasionne un « effet singulier, une agitation, une secousse », dont le produit se propage ensuite par le moyen du seul nerf non réagissant, celui qui précisément a transmis l’impression et qui seul se trouve maintenant dans un état passif : de sorte que nous croyons ressentir comme une impression locale, à l’extrémité du nerf, ce qui est pourtant un effet général du système sensitif. Cette agitation, cette secousse, l’homme qui « possède la faculté de se former des idées de ce qu’il éprouve, » l’homme la perçoit et l’appelle sensation. N’est-il pas vrai que Lamarck introduit ici sans en avoir l’air un élément qu’il n’explique pas ? Qu’est-ce en effet que cette faculté de se former des idées ? N’est-ce pas quelque chose de distinct de l’impression nerveuse ? Cette perception, cette conscience qui accompagne le mouvement du fluide nerveux mis en branle par l’impression extérieure, d’où vient-elle, d’où sort-elle ? Lamarck ne nous le dit pas.

La « perception » qui se joint à la sensation, qui la constitue à vrai dire, car une sensation n’existe qu’à la condition d’être consciente, ne doit pas d’ailleurs être confondue avec la pensée. Le système des sensations est tout à fait indépendant du système des actes intellectuels. Bien des animaux sentent et ne pensent pas. C’est une grave erreur de croire que toute sensation produit une pensée. Pour penser, il faut un système d’organes particuliers. La pensée n’est nullement une sensation ; « on peut penser sans sentir, et on peut sentir sans penser[1]. » Lamarck oublie que dans la sensation elle-même il y a un commencement de pensée, qui est la

  1. Philosophie zoolog., tome ii, p. 248.