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analyses. — fechner. Vorschule der Aesthetik.

pour l’impression directe n’est que le produit d’associations variées. Autrement il ne serait pas possible de contester la justesse et la portée du principe que nous établissons. Cette confusion s’explique d’ailleurs aisément, si l’on considère, d’une part, la puissance avec laquelle s’impose l’impression directe, grâce à son caractère primesautier, à sa clarté, à sa précision ; d’autre part, la formation lente, graduelle, intime, mais toujours plus énergique et enfin inéluctable de l’association.

Associations dans un paysage. — Pourquoi éprouvons-nous un si vif plaisir à la vue d’un paysage ? Pour faire toucher du doigt la différence de procédé de l’esthétique d’en haut et de l’esthétique d’en bas, prenons l’explication que donne de cette impression un des meilleurs traités d’esthétique, et mettons la nôtre en regard. « L’essence de la nature, dit Carrière, répond en soi à la beauté. Elle représente à l’esprit son contenu idéal sous des formes matérielles, elle rend sensibles des lois spirituelles, et l’attrait qu’elle exerce sur nous provient justement de ce que notre âme se retrouve dans le monde extérieur. Et te cependant, partout le but immédiat de la vie, c’est la vie propre, individuelle : chaque être est là pour soi et non point pour que sa figure nous plaise. C’est donc une gracieuseté de la fortune que dans le monde les vicissitudes des choses, la* manière dont elles sont pour elles-mêmes se présentent à notre esprit de telle sorte que nous en apercevons la nature intime à travers l’écorce extérieure ; et nous reconnaissons alors que leurs formes n’obéissent pas seulement aux fins universelles, mais sont conformes aux conditions et aux exigences de notre personnalité. Nous devons surtout louer la bonté du Créateur de ce que des substances, qui paraissent indifférentes à la vie de l’organisme — des plantes en particulier —, ou qui en sont extraites nous charment comme senteurs ou matières colorantes par leur parfum ou leur éclat ». Les puissances de la nature inorganique trouvent dans la plante leur épanouissement. C’est dans la plante que l’idée individuelle apparaît pour la première fois, comme une force vitale qui se crée un corps et qui, se réalisant dans la formation incessamment renouvelée d’un organisme, tient, il est vrai, à la terre par les racines, mais s’élève dans l’air et la lumière et étend dans l’espace ses branches et ses feuilles. La plante rend sensible l’idée de la formation organique en laquelle nous avons reconnu la première condition de la beauté. La variété des feuilles et des branches se dégage de l’unité du tronc dont on voit qu’elle sort, et l’action réciproque de ces figures individuelles concourt à un tout harmonique[1]. »

Notre explication est plus simple : la voici. Un aveugle de naissance, fraîchement opéré et mis en présence de la nature, ne voit dans un paysage qu’une table colorée, car il ne peut pas encore en saisir la

  1. Voir le chapitre sur les catégories esthétiques, 1ervol., II, 2 : en part, p. 16 et seq. ; p. 24 et seq., et celui sur le goût, 1er vol., p. 236.