Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
180
revue philosophique

comme le vin, et d’autres désagréables, comme la jaunisse ; il en est de grand prix, comme le soleil, la lune, l’or, une couronne, et sans valeur, comme une plaine sablonneuse, le chaume, les feuilles sèches. Le jaune nous apparaît encore dans les vêtements, le soufre, le citron, les canaris, en un mot dans les objets les plus divers. Comment en aurons-nous une impression associée, puisque toutes ces influences contraires semblent se neutraliser ? On serait donc porté h croire qu’ici l’impression directe seule joue un rôle. Distinguons cependant. Les uns, comme une plaine sablonneuse, le chaume, la paille et les feuilles sèches, vus fréquemment et sur une large échelle, avec leur jaune fade et sans vigueur, nous font toujours penser à des choses vulgaires, sans intérêt et sans importance, tandis que le soleil, la lune, les étoiles, brillant d’un vif éclat, nous apparaissent comme les joyaux du ciel, parce qu’ils nous donnent l’impression de la puissance et de la richesse, ces joyaux de la terre. D’ailleurs les nuances effacées et ternes sont en soi désagréables à l’œil ; les couleurs fraîches et éclatantes, au contraire, pleines de charme. L’impression directe et l’impression associée sont donc d’accord pour éveiller notre sympathie ou notre antipathie. Mais le jaune terne, avec sa signification banale, se rencontre, dans la vie, avec bien plus de persistance et en de plus nombreux exemples que le jaune étincelant et noble. Il en résulte que cette couleur souffre d’une certaine défaveur et que nous éprouvons un malin plaisir à appeler blanc le vin jaune, et rouge l’or jaune, pour écarter d’objets que nous estimons toute fâcheuse association d’idées. Pour la même raison, nous ne parlons jamais de la teinte jaune du soleil et des étoiles, mais de leur éclat doré.

Le vert nous rappelle la nature, qui est, en somme, de cette couleur. Le rouge éveille l’idée du sang et de la flamme, tandis que le rose nous fait penser à la rose, non-seulement parce que ces couleurs s’y rencontrent volontiers, mais parce qu’elles attirent ainsi tout particulièrement notre attention. En voyant la joue fraîche d’une jeune fille, nul ne songe à un incendie ou à un carnage, l’expérience journalière rendant impossible une semblable association d’idées. Si, par contre, nous rencontrons un homme vigoureux, avec une plume rouge à son bonnet, nous serons disposés à lui prêter un tempérament plutôt fougueux que doux. Le caractère associé des couleurs se règle donc selon les circonstances ; il en est des couleurs comme des mots à double entente : c’est le contexte qui en fixe le sens ; — seulement les couleurs sont susceptibles de plus de significations que les mots. — Les rapsodes qui chantaient l’Iliade s’habillaient de rouge en souvenir des batailles qui font le principal sujet de cette épopée, tandis que ceux qui disaient l’Odyssée portaient des tuniques bleues pour rappeler les erreurs d’Ulysse par les mers. Qui pourrait se représenter un brigand ou Méphistophélès, cet habitant du feu éternel, vêtu de bleu, la couleur du ciel, ou un berger d’idylle drapé dans un manteau rouge !