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compayré. — la psychologie de lamarck

le calque physiologique des conjectures de Condillac. Il n’en est rien. Lamarck, qui se montre ici plus profond que Condillac, ne croit pas possible que la sensation d’hier devienne aujourd’hui pensée, que l’instinct aveugle se transforme en volonté réfléchie. Mais il prétend que ces divers éléments d’un être sensible et intelligent se sont en quelque sorte surajoutés les uns aux autres, qu’il y a dans la nature animale comme une série de couches superposées, que l’être se complète enfin par une succession de conquêtes qui s’additionnent l’une à l’autre.

On ne saurait contester que cette façon de comprendre l’organisation des êtres n’ait sa grandeur, et il n’est pas douteux qu’elle puisse se concilier avec la croyance sincère à un Dieu, à une intelligence suprême. Les Darwinistes ont souvent prétendu que leurs théories, loin de supprimer la religion, loin d’exclure Dieu du gouvernement du monde, préparaient une religion plus haute et attribuaient à Dieu un rôle plus digne de lui. C’est aussi la prétention de Lamarck que ses conjectures, si elles étaient accueillies, tendraient plutôt à agrandir qu’à diminuer la notion de l’Être suprême. « Si les vérités que je défends, dit-il, étaient reconnues comme telles, elles mettraient un terme au merveilleux créé par l’imagination, et elles nous donneraient une idée plus juste et plus grande du suprême auteur de tout ce qui existe, en nous montrant la voie simple qu’il a prise pour opérer tous les prodiges dont nous sommes témoins[1]. » Il n’y a pas la moindre raison pour suspecter la bonne foi des déclarations si expansives et d’un ton si grave que Lamarck renouvelle plusieurs fois sur ce point. « Rien n’existe que par la volonté du sublime auteur de toutes choses. Mais pouvons-nous lui assigner des règles dans l’exécution de sa volonté et fixer le mode qu’il a suivi à cet égard ? Sa puissance infinie n’a-t-elle pu créer un ordre de choses qui donnât successivement l’existence à tout ce que nous voyons[2] ? » Le système de Lamarck ne change donc qu’une seule chose aux anciennes idées, relativement à Dieu : c’est que la création passe de la catégorie des actes immédiats dans celle du devenir et d’une action continuée à travers les siècles. Ce qui étonnera davantage, ce qui paraîtra peut-être une timidité excessive de la part de Lamarck, c’est qu’il ne voulait pas se décider à regarder la nature comme éternelle. L’éternité de la nature, disait-il, « c’est pour moi une idée abstraite, sans base, sans vraisemblance et dont ma raison ne saurait se contenter. J’aime mieux penser que la nature entière

  1. Philosophie zoologique, tome ii, d. 275.
  2. Id., tome i, p. 74.