Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
157
charpentier. — la logique du hasard

Il existe pourtant une distinction bien facile à faire entre une opération logique considérée en elle-même pour ainsi dire in abstracto et la même opération pratiquement exécutée par telle ou telle personne. Qu’il s’agisse de multiplier 48 par 25. Il est clair que, si l’opération est exécutée suivant la règle, le résultat est certain. Mais que j’exécute maintenant l’opération et que je trouve 1 200 pour résultat, qui m’assurera que j’ai vraiment exécuté l’opération suivant la règle ? Je sais fort bien par l’expérience qu’en fait il m’arrive souvent de ne pas exécuter correctement une opération mentale, en sorte que pratiquement un résultat obtenu ne peut jamais être considéré comme certain : il n’est jamais que probable.

L’instinct lui-même nous enseigne un moyen très-simple pour accroître en quelque sorte indéfiniment cette probabilité, et ce moyen consiste à répéter plusieurs fois l’opération. Si le résultat de chaque nouvelle opération est toujours le même que celui des opérations déjà exécutées, il devient de plus en plus probable que le résultat est vrai, et bientôt cette probabilité est si grande, que pratiquement elle équivaut à la certitude. Tel est le fondement de ce qu’on appelle preuve en arithmétique et en algèbre. Je multiplie 48 par 25 et je trouve pour produit 1 200 ; je multiplie 25 par 48 et je trouve encore 1 200 ; je divise 1 200 par 48 et je trouve pour quotient 25. Aucune de ces opérations ne donne un résultat certain ; mais la certitude résulte de la concordance de ces mêmes résultats, et si cette concordance existe, comme il vient d’être expliqué, personne ne regardera plus comme douteux que 1 200 ne soit le vrai produit de 48 par 25. Il s’agit maintenant d’examiner avec M. Venn comment de pareilles difficultés doivent être traitées, ou plutôt de rechercher quels sont les principes philosophiques des méthodes employées soit par les mathématiciens, soit par les observateurs.

Dans le cas des calculs ou des opérations mathématiques, il existe pour chaque opération un résultat absolument exact, qu’on peut être sûr d’obtenir en multipliant suffisamment les vérifications et les preuves. Mais il n’en va pas de même pour les observations. Mesurez 40 fois de suite la longueur d’une ligne droite, vous trouverez 40 résultats légèrement différents. La ligne droite a sans doute une longueur exactement déterminée, mais la différence des résultats que vous obtenez vous prouve que vous n’êtes jamais sûr d’avoir obtenu cette longueur exacte. Toutefois, ici comme dans le cas précédent, il semble naturel de multiplier les mesures et de combiner les résultats obtenus de manière à approcher aussi près que possible de la grandeur vraie. On peut rendre sensible par un exemple simple la nature de cette difficulté. Un homme tire à la