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l’on fait emploi d’une série fondée sur l’observation de caractères nombreux et précis comme celle-ci : Parmi les hommes atteints d’une certaine forme de cancer, 80 pour 100 meurent dans l’année, les conclusions qu’on en tirera auront la plus grande valeur, mais on ne pourra pas accorder à la série elle-même une grande confiance, car le plus souvent elle n’aura pas été fondée sur des observations assez nombreuses et assez précises. C’est bien là l’origine de la défiance presque invincible que la statistique inspire à beaucoup d’excellents esprits. En voyant avec quelle légèreté les éléments de certaines statistiques sont souvent rassemblés, on se demande quelle conclusion sérieuse on peut tirer de pareils principes. Il y a là un vrai défaut radical, auquel on ne peut remédier, ni par le grand nombre des observations, ni par l’habileté dont on fait preuve dans l’emploi de certaines formules établies sur des principes mathématiques de l’ordre le plus élevé. Le dernier mot doit être celui-ci : c’est que, dans la pratique de la méthode expérimentale, la quantité ne peut jamais suppléer à la qualité. Il convient d’examiner maintenant cette difficulté de plus près. Nous ne pouvons suivre M. Venn dans toutes les applications curieuses et utiles qu’il fait de sa méthode aux assurances, aux jeux, à la critique des témoignages, etc. Mais au moins nous devons faire sentir que la logique du hasard n’est pas une science de pure curiosité, et nous ne saurions y réussir sans examiner avec quelque détail un exemple particulier.


V


Lorsque les logiciens traitent la question de l’erreur, ils se tiennent toujours, au moins en France, à un point de vue purement logique. Pour eux, l’erreur consiste dans un défaut d’accord entre nos opinions et la réalité des choses. C’est un inconvénient que la logique apprend à éviter. Ajoutez à ces définitions quelques développements sur la forme des principaux sophismes et sur les passions considérées comme causes morales de nos erreurs, et vous aurez à peu près tout ce que contiennent les traités ordinaires de logique sur la question qui nous occupe[1].

  1. Tous les bons traités d’arithmétique contiennent un chapitre sur la théorie des approximations numériques. Il est assez étrange qu’en France aucun logicien n’ait songé à puiser à cette source. L’étude des approximations numériques permettrait de compléter d’une manière très-intéressante la théorie logique de l’erreur. — V. Théorie élémentaire des approximations numériques, par J. Bourget. Paris, Blériot, 1860.