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charpentier. — la logique du hasard

au juste ce que c’est qu’un phthisique, et cela ne peut se faire que par une multitude d’observations et même de raisonnements. Reprenons notre premier exemple. J’ai vu mourir Pierre et Paul, j’en conclus que tous les hommes sont mortels ; mais, si Pierre et Paul sont Anglais, pourquoi ne pas conclure seulement que tous les Anglais sont mortels ? Pierre et Paul sont des mammifères, pourquoi ne pas conclure que tous les mammifères sont mortels ? Ils sont aussi des vertébrés, des êtres organisés, pourquoi ne pas conclure que tous les vertébrés, que tous les êtres organisés sont mortels ? En un mot, Pierre et Paul appartiennent à une foule de classes, pourquoi terminer notre conclusion à la classe des hommes ? D’ailleurs, dans certains cas, nous outrepassons sans aucun scrupule les limites de la classe qui se présente naturellement à l’esprit. Le physiologiste qui a étudié sur des chiens le mécanisme de l’empoisonnement par la strychnine ne conclut pas seulement que la strychnine produit les mêmes effets sur tous les chiens, mais aussi sur les chevaux, sur les chats et sur les hommes. Personne ne conteste la validité de pareilles inférences, pourvu que les classes auxquelles on étend les résultats de l’expérience aient été convenablement formées ; mais il semble aussi que la formation de ces classes soit une partie essentielle de la méthode inductive.

L’observation générale que nous venons de présenter s’applique avec beaucoup de force quand il s’agit de former par induction, non pas des propositions ordinaires, mais ces propositions proportionnelles qui servent de point de départ au raisonnement probable. Il semble assez facile d’établir que, sur 100 Anglais âgés de 30 ans, 98 vivent un an de plus, ou que, sur 100 Anglais âgés de 30 ans résidant dans l’Inde, 90 vivent un an de plus. Mais il n’est certainement pas aussi facile d’établir que sur 100 personnes malades d’une certaine forme de cancer, 20 seulement survivent un an. Pour qu’une telle proposition fût valable, il faudrait que les observations eussent été faites sur des personnes dans des conditions générales de santé identiques, atteintes de cancers de même nature, affectant la même région et au même point de leur évolution. Il est bien peu probable que de telles observations aient été faites, et en assez grand nombre, pour justifier la proposition dont il s’agit. Nous touchons ici à la difficulté fondamentale qui se présente dans l’emploi de la logique du hasard. Si l’on fait emploi d’une série fondée sur l’observation d’un petit nombre de caractères faciles à constater, comme celle-ci : Parmi les hommes de 30 ans, 2 pour 100 meurent dans l’année, on peut sans crainte se fier à une telle majeure, mais la conclusion qu’on en peut tirer n’a guère de signification et ne peut pas être fort utile. Si