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charpentier. — la logique du hasard

observations ordinaires ; si nous reconnaissons que la probabilité de cet événement est la même que celle d’un événement qui nous est familier, notre esprit aura une tendance à se fixer à un état de doute analogue à l’état de doute qui correspond à l’événement habituel, choisi pour terme de comparaison.

Je suppose que, n’ayant pas l’habitude de voyager, je sois forcé d’entreprendre le voyage d’Europe en Amérique. Je n’aurai qu’une idée très-vague de la grandeur du danger que présente la traversée, et j’aurai probablement une tendance à apprécier beaucoup trop haut ou beaucoup trop bas la grandeur d’un tel danger. Quand on me ferait connaître la proportion des passagers qui, dans les conditions où je me trouve, périssent pendant la traversée de l’Atlantique, la connaissance de ce nombre n’aurait peut-être pas sur mon esprit une bien grande influence. Mais supposons établi le fait que, pour moi, la probabilité de périr en traversant l’Atlantique soit la même que la probabilité de mourir dans l’année de telle maladie, si je reste chez moi, le cas sera bien différent. Il serait sans doute absurde de prétendre que cette comparaison suffira pour faire que ma crainte ou, si l’on veut, que mon opinion sur les deux dangers devienne précisément la même ; mais que penserait-on d’un homme qui, malgré les considérations qui précèdent, serait extrêmement effrayé de l’un des deux dangers et parfaitement indifférent à l’autre ? C’est par des comparaisons de ce genre que la théorie des probabilités devient utile dans la pratique. Au reste, cette méthode de juger de l’inconnu par comparaison avec le connu est si naturelle, si nécessaire à l’intelligence humaine, qu’il serait bien étrange qu’elle fût sans application aux questions qui dépendent de la considération du hasard.


IV


Jusqu’ici, nous avons exposé et discuté les principes de la nouvelle logique, au développement de laquelle M. Venn s’est appliqué. Nous avons maintenant à faire connaître la nature des inférences qui se fondent sur ces principes. Nous donnerons au lecteur des idées plus nettes et plus utiles sur ce sujet, en nous attachant à un point important, qu’en énumérant une multitude de règles de détails dont le développement nous conduirait beaucoup trop loin. Dans toute logique, aujourd’hui, la partie la plus importante est la théorie de l’induction ; examinons cette théorie dans ses rapports avec la doctrine sur la probabilité, que nous avons jusqu’ici étudiée dans ses principes.

Tout d’abord il faut savoir que M. Venn accepte, nous verrons plus