Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VI.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
charpentier. — la logique du hasard

tout ce qui peut être introduit pratiquement dans nos controverses orales ou écrites, nous ne devons pas conclure que par là seulement notre conviction est influencée. Au contraire, notre conviction repose généralement sur une sorte de base confuse composée d’un nombre infini d’inférences et d’analogies de toute espèce, qui de plus sont faussées par notre état momentané de sentiment, obscurcies par le degré de souvenir qui nous en reste dans la suite, et probablement reçues d’un moment à l’autre avec une force variable suivant le moyen par lequel elles arrivent à se combiner dans notre présent état de conscience. Suivant une image frappante d’Abraham Tucker, la substruction de nos croyances doit être comparée, moins aux fondations solides d’un bâtiment ordinaire qu’aux piles des maisons de Rotterdam, qui s’enfoncent dans un lit profond de boue mouvante. Elles portent leur poids avec assez de sécurité, mais il ne serait pas aisé d’indiquer très-exactement comment une partie s’appuie sur l’autre. Nous ne commençons pas plutôt à penser au degré de notre croyance que nous nous mettons à penser aux arguments par lesquels elle est produite — en fait, ces arguments s’introduiront d’eux-mêmes sans avoir été choisis par nous. À mesure que chacun à son tour traverse notre esprit comme un éclair, il modifie la force de notre conviction ; nous sommes comme une personne qui écoute le vacarme confus d’une foule, il y a toujours quelque chose d’arbitraire dans le son particulier que nous choisissons pour l’écouter. Il peut toujours y avoir des raisons très-suffisantes pour déterminer notre dernier choix ; mais, en examinant, nous trouverons que les raisons ne sont nullement saisies avec la même force en différents temps. La croyance produite par quelque argument puissant peut être très-décisive au moment même, mais elle commencera souvent à diminuer dès que l’argument ne sera plus actuellement présent à l’esprit. Il en est comme de l’éblouissement produit par une vive lumière ; l’impression subsiste, mais elle commence presque immédiatement à s’effacer. Je pense qu’il en est de même quand nous essayons de préciser les sources de notre conviction (p. 108). »

Ces observations générales sont confirmées par une multitude de faits particuliers. Tout le monde sait que le désir, la crainte, l’espérance modifient notre opinion sur l’arrivée d’un événement futur. Bien plus, certaines circonstances particulières nous font souvent perdre de vue toute appréciation précise sur la probabilité d’un événement. On m’offre d’acheter pour 5 centimes un billet de loterie qui peut gagner  500, 000, 000 de francs, la probabilité du gain pour ce billet étant . J’achèterai le billet sans hésiter. Je ne consi-