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-elle être prise comme une mesure exacte d’un certain doute ?

Cette question paraît simple d’abord ; mais on reconnaît bien vite qu’elle est réellement complexe et qu’il est indispensable de la décomposer en deux autres questions : 1° Le degré d’un doute, ou, si l’on veut, la force d’une opinion est-elle mesurable ? 2° Est-elle mesurée par la valeur que la théorie assigne à la probabilité ?

Il est clair que, si la première question était résolue négativement, la seconde devrait disparaître ; il ne serait donc pas logique de poser la seconde question avant d’avoir résolu affirmativement la première.

Je demande la permission d’appeler l’attention du lecteur sur cette analyse, qui appartient tout entière à M. Venn. Les différents auteurs qui entreprennent de mesurer certains phénomènes psychologiques prennent implicitement pour accordé que tout phénomène qui comporte des degrés est mathématiquement mesurable. Cette proposition prise ainsi dans toute sa généralité n’est pas vraie. La seule méthode à suivre est donc la méthode suivie par M. Venn.

Quoi qu’il en soit, revenons à nos deux questions. La première doit être résolue négativement. On peut s’en convaincre par une observation très-simple, c’est que l’opinion d’une même personne au sujet d’un même fait varie avec des circonstances absolument indépendantes du fait lui-même. Cela vient de ce qu’une croyance est en réalité un fait extrêmement complexe, qui renferme une multitude d’éléments, et ces éléments appartiennent à la sensibilité aussi bien qu’à l’intelligence. Ce point est d’une extrême importance. Il a été développé par M. Venn en une page que j’essayerai de traduire, sans espérer toutefois d’en rendre toute la force et toute la saveur :

« Une autre cause qui concourt avec la première est à chercher dans l’extrême complexité et dans l’extrême variété des preuves sur lesquelles se fonde notre croyance en une proposition quelconque. Il en résulte qu’à un moment donné notre croyance actuelle est une des choses les plus fugitives et les plus variables, en sorte que nous ne pouvons la saisir d’une vue assez claire pour la mesurer. Cela ne se borne pas au temps où notre esprit est emporté dans un tourbillon d’espérance ou de frayeur. Dans nos moments les plus calmes, nous trouverons que ce n’est pas chose aisée de donner une réponse précise à la question : Avec quel degré de fermeté tenons-nous pour telle ou telle croyance ? Il peut y avoir en sa faveur un ou deux arguments principaux, et contre elle une ou deux objections principales ; mais cela même est loin de comprendre toutes les causes qui produisent notre état de croyance. Parce que de telles raisons sont